Syrie.
Un vieil homme rame à bord d'une barque, seul au milieu d'une immense étendue d'eau. En dessous de lui, sa maison d'enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.
Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d'un masque et d'un tuba, il plonge - et c'est sa vie entière qu'il revoit, ses enfants au temps où ils n'étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.
«?L'accouplement est un cérémonial - s'il ne l'est pas c'est un travail de chien.?».
Au début des années soixante, un jeune homme est nommé instituteur dans un village du Périgord, le pays des grottes préhistoriques, entre Les Eyzies et Montignac.
Dense, tendu, plein de fulgurances et d'emportements le roman fait de cette terre l'espace à vif d'une quête amoureuse. Yvonne, la belle buraliste, porte en elle la brûlure du désir, tout le mystère de la différence des sexes - l'origine du monde.
Dans ce récit écrit sans artifices, tönle, berger du plateau d'asiago, à la frontière du royaume d'italie et de l'empire austro-hongrois, doit, pour survivre et nourrir sa famille, se faire contrebandier, soldat, mineur en styrie, colporteur d'estampes jusqu'aux carpates, jardinier à prague, gardien de chevaux en hongrie.
Mais pour ce solitaire anarchisant, le monde finit avec la première guerre mondiale, quand le plateau se transforme en un champ de bataille oú il erre obstinément en compagnie de ses moutons. c'est avec eux qu'il repassera la frontière, prisonnier civil sur ces terres oú il fut libre. il mourra au pied du plateau. les romans de mario rigoni stern (1921-2008) sont devenus en italie comme en france des classiques.
« Écoute, le sol se dérobe, les mots dérapent ; partout, nos appuis s'érodent. Nous vivons «au-dessus» du monde, dans des bulles d'histoires ; ce que nous voyons, au loin, depuis cette hauteur, c'est une Terre abîmée, épuisée. Nous entrons dans un temps vertigineux. Et moi, figure-toi, avec les livres qui m'ont accompagné, j'ai voulu saisir les formes de ce vertige. Comprendre cette guerre, ce combat, et cette blessure, entre les langages humains et les autres formes de la vie. ».
Une histoire du vertige, à sa façon unique, est un livre d'aventures. Il s'ouvre sur la cavale de Don Quichotte : cet être envoûté par la fiction, et qui nous ressemble tant. Et à partir de là, il tourne inlassablement autour d'une espèce : la nôtre, en se demandant comment nous détruisons nos appuis terrestres ? Fresque du temps présent, de nos vertiges face à la crise écologique et aux épreuves de la guerre, le livre s'adresse à un lecteur imaginaire : un ami, un frère ou une soeur, un compagnon. Il parle de nous, de notre perte d'équilibre, de notre sentiment que plus rien ne tient, que tout s'effondre ; mais en nous apprenant, petit à petit, à tenir dans le vertige. En nous reliant à un monde infini, beaucoup plus vaste, où les petits « Je » des modernes s'effacent.
Il y a d'un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragicomédie du quotidien, un « gros déglingo », dit sa fille, la narratrice, un vrai punk avant l'heure. Il y a de l'autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixellisé de feu son épouse. Mon père, dit sa fille, qu'elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous- Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.
De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce Janus, gaillard fragile à double face.
Capharnaüm invraisemblable, caverne d'Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires. Comment déceler une cohérence dans ce chaos ? Que disent d'un père ces recueils de haïkus, auxquels des feuilles d'érable ou de papier hygiénique font office de marque-page ?
Et puis, un jour, comme venue du passé et parlant d'outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.
En 2012, Thésée quitte « la ville de l'Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d'archives, laisse tout en vrac et s'embarque dans le dernier train de nuit vers l'est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s'obstine. Il refuse, en moderne, l'enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu'à finalement rouvrir « les fenêtres du temps »...
« Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant » : ainsi commence La Petite Lumière. C'est le récit d'un isolement, d'un dégagement mais aussi d'une immersion. Le lecteur, pris dans l'imminence d'une tempête annoncée mais qui tarde à venir, reste suspendu comme par enchantement parmi les éléments déchaînés du paysage qui s'offrent comme le symptôme des maux les plus déchirants de notre monde au moment de sa disparition possible.
L'espace fait signe par cette petite lumière que le narrateur perçoit tous les soirs et dont il décide d'aller chercher la source. Il part en quête de cette lueur et trouve, au terme d'un voyage dans une forêt animée, une petite maison où vit un enfant. Il parvient à établir un dialogue avec lui et une relation s'ébauche dans la correspondance parfaite des deux personnages. Cette correspondance offre au narrateur l'occasion d'un finale inattendu.
La petite lumière sera comme une luciole pour les lecteurs qui croient encore que la littérature est une entreprise dont la portée se mesure dans ses effets sur l'existence.
"Car un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul coup d'oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l'un ou l'autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l'ombre, il suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l'agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d'air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l'homme à la rêverie. N'étaient les objets de laque dans l'espace ombreux, ce monde de rêve à l'incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination.
Ainsi que de minces filets d'eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l'un ici, l'autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d'or." Publié pour la première fois en 1978 dans l'admirable traduction de René Sieffert, ce livre culte est une réflexion sur la conception japonaise du beau.
Un cimetière d'avions en plein Arizona, une virée en barque parmi les alligators, une visite dans les mines de Tombstone, les villes fantômes et les maisons calcinées, la menace à tout instant d'une famille d'anthropophages... mais surtout, pour Giorgio, Silva et Ramak, les trois personnages cocasses et attachants de ce récit de voyage, partout l'épreuve du vide : absolutely nothing.
« Amer savoir celui qu'on tire du voyage » ? Voyager en Amérique pour connaître ? Non. Pour se connaître ? Pas davantage. Mais pour être face au manque étalé devant soi : dans l'espace infini des déserts, des sables et des boues, dans le discours des guides, véritables comédiens qui inventent le réel à coups de fictions bien rodées, à absorber comme des fruits secs.
Voyager non pour consommer et dévorer, mais pour être dévoré et se consumer.
Absolutely Nothing est un voyage au bout du voyage, porté par la langue précise et puissante de Giorgio Vasta et les photographies en couleurs de Ramak Fazel, pour dire l'absence et l'abandon, le désastre et la cendre?: la décharge du temps.
47 % des vertébrés disparus en dix ans : faut qu'on se refasse une cabane, mais avec des idées au lieu de branches de saule, des images à la place de lièvres géants, des histoires à la place des choses.
Olivier Cadiot Il faut faire des cabanes en effet, pas pour tourner le dos aux conditions du monde présent, retrouver des fables d'enfance ou vivre de peu ;
Mais pour braver ce monde, pour l'habiter autrement, pour l'élargir.
Marielle Macé les explore, les traverse, en invente à son tour. Cabanes élevées sur les ZAD, sur les places. Cabanes bâties dans l'écoute renouvelée de la nature, dans l'élargissement résolu du « parlement » des vivants, dans l'imagination d'autres façons de dire « nous ». Cabanes de pensées et de phrases, qui ne sauraient réparer la violence faite aux vies, mais qui y répliquent en réclamant très matériellement un autre monde, qu'elles appellent à elles et que déjà elles prouvent.
Marielle Macé est née en 1973. Ses livres prennent la littérature pour alliée dans la compréhen- sion de la vie commune. Ils font des manières d'être et des façons de faire l'arène même de nos disputes et de nos engagements.
Que reste-t-il du lien que deux soeurs ont su tisser au milieu de l'enfance explosée, quand leurs parents se séparèrent et s'absentèrent ? Ce lien est celui de Maddi et Nina, la cadette, soeur intense, soeur jaillissante. Au côté de l'écorchée vive, Maddi a su se faire une carapace d'intelligence pour se retirer et observer la vie sans jamais trop s'y exposer.
Mais, longtemps après, lorsqu'elle décide de laisser un temps sa maison parisienne, ses deux enfants et son couple forteresse-tendresse, pour revenir sur les lieux de son enfance, Maddi sent que sa carapace se fendille et qu'un équilibre menace de se rompre. Tout le passé resurgit, les lumières déchirantes de Rome, Mylène la gouvernante athlétique, les espérances, les leçons, les duretés et ce lien avec Nina plus fort que l'amour.
Que faire alors d'une carapace ? de deux ? Et les carapaces vieillissent-elles ? N'interdisent-elles pas les caresses ? Et puis, apportent-elles la paix ? Parce qu'il est le roman des soeurs, Sous ma carapace est celui des femmes dans le temps des fidélités.
Si on veut, c'est Marseille et on l'appelle Mahashima.
Legudo, ce sont les Goudes.
Et Manosque se dit Manosaka.
Les collines, en tout cas, n'ont pas beaucoup changé.
À Mahashima, longtemps capitale d'un royaume sans importance, Ryoshu mesure son bonheur de vivre heureux dans une ville heureuse.
Un matin, il se met tout de même en marche pour aller revoir, non loin, les paysages de son enfance. En suivant le rivage, en gravissant les collines, il se remémore la période de troubles qui a marqué sa jeunesse, puis ce caprice du pouvoir à l'origine de la plus belle saison qu'on ait connue : le déplacement de la capitale, quand Mahashima fut subitement abandonnée par les puissants.
L'histoire a peut-être lieu dans le futur, mais on y voit des pans entiers de notre époque, des clans guerriers, comme dans le Japon médiéval, et une lumière qu'on avait oubliée.
C'est un monde renversé sans violence, ou presque, et qui retrouve son équilibre en ayant renoncé à durer toujours.
Dans une série de scènes érotiques où la joie le dispute à l'énormité des situations et des propos tenus, Anne Serre se livre à un jeu de débordements qui, loin de déconcerter le lecteur, lui offrent un véritable enchantement. Dans une scène originelle, « la table au disque luisant » fonctionne comme objet érotique mais aussi comme objet de divination, objet fascinant chargé de messages que la narratrice sera plus tard amenée à décrypter lorsqu'elle aura quitté l'enfance. Elle rencontre aussi sur son chemin nombre de personnages qui seront pour elle autant de signes qui participeront secrètement à la construction de soi. Au terme d'une errance à la fois dramatique et confiante, elle pourra enfin énoncer la formule magique du conte de Grimm : Petite table, sois mise !
Deux contes brefs - Le-Mat et Le Narrateur - prolongent le charme et la résonance énigmatique de ce premier texte.
Dans ce café d'un petit bourg où Jean-Luc et Jean- Claude ont la permission, tous les jeudis, de venir boire (sans alcool), les choses prennent ce jeudi un tour inhabituel.
D'abord, il y a ce gars, ce jeune gars aux cheveux si blonds, qui émerveille les deux amis parce qu'il vient d'Abbeville. Et puis demain c'est vendredi, le jour de l'injection retard de Jean-Luc, qui sent en lui quelque chose gronder. Peut-être un écho de la tempête qui vient de balayer tout le canton, et qui met en danger les phoques de la baie, pour lesquels Jean-Claude se fait tant de souci. Il suffira d'un rien, d'une contrariété, un billet de loto qu'on refuse de valider à Jean-Claude pour que tout se dérègle. Sous la pluie battante, le gars blond prend les deux amis en voiture. Au Foyer, où ils ne sont pas rentrés à 18 heures, l'inquiétude monte. Il faut prévenir les gendarmes.
Où vont-ils ? On ne sait pas très bien, au PMU peut-être.
Et ce gars, que leur veut-il, à eux qui sont si vulnérables ?
Du souci, il en sera beaucoup question dans cette histoire dont une vieille dame et une phoque sont les témoins silencieux, et les collégiens d'une classe découverte des témoins beaucoup plus agités. Sur le parking d'Intermarché, ça ne se passe pas très bien.
Faut-il partir encore plus loin, là où la virée pourrait devenir dangereuse ?
On cherchera des abris. Les trouvera-t-on ?
Aujourd'hui, c'est vigilance orange.
Demain c'est vendredi. Le jour de voir les phoques ?
L'héroïne de Boulder gagne sa vie comme cuisinière sur un vieux navire marchand. C'est la situation parfaite :
La solitude, le provisoire, une cabine et l'océan, un port où rencontrer des femmes. Jusqu'à ce qu'un jour l'une d'elles réussisse à l'arracher à la mer et à l'entraîner dans l'aventure d'une procréation assistée.
Qu'est-ce que la maternité va provoquer chez cette femme qu'elle a rencontrée dans un bar en Patagonie ?
Et elle, acceptera-t-elle de se laisser enfermer entre les quatre murs d'une maison pour faire mentir le surnom de Boulder que lui a donné son amoureuse, et qui désigne ces grandes roches isolées au milieu du paysage dont personne ne sait d'où elles viennent ni pourquoi elles sont là.
Le ton ironique, les évocations érotiques sans fausse pudeur, le style implacable et vibrant comme le personnage, tout contribue à faire de ce deuxième roman un texte rebelle intense et poétique.
Novembre 1989.
Le Mur de Berlin vient de tomber. Inge et Walter Bischoff, un couple d'Allemands de l'Est de condition modeste, convoquent leur fils Carl et lui annoncent solennellement qu'ils ont décidé d'aller vivre à l'Ouest. Ils partiront « en éclaireurs », expliquent-ils, tandis que Carl restera « à l'arrière » pour veiller sur leur maison de Gera. Ils lui écriront régulièrement.
À vingt-six ans, Carl, qui a repris depuis peu ses études, n'habite plus chez eux depuis longtemps. Mais leur décision qui ressemble à un abandon lui révèle soudain qu'avant d'être ses parents, Inge et Walter ont eu une jeunesse éprise de liberté et de rock'n roll. De ce temps d'avant la construction du mur, le Stern 111, un poste de radio de fabrication soviétique orné d'une étoile rouge, reste le symbole : toute la jeunesse d'Allemagne de l'Est s'en servait pour écouter les radios de l'Ouest.
Carl ne restera pas longtemps à Gera. Au volant de la petite voiture de son père, il se rend bientôt à Berlin. Alternent dès lors les lettres reçues de sa mère et le récit de ses propres aventures dans la ville en pleine effervescence. Au « Cloporte », un immeuble où s'est rassemblée une communauté de squatters sous la conduite du berger Hoffi, perpétuellement accompagné de sa chèvre Dodo, Carl va connaître une double initiation amoureuse et politique.
« J'avais prolongé mon séjour à Veracruz tant qu'elle avait été là - je l'aurais prolongé jusqu'à la fin du monde, s'il n'avait tenu qu'à moi. Maintenant qu'elle avait disparu, je le prolongeais dans l'espoir de la retrouver, ou au moins d'apprendre quelque chose sur les raisons de sa disparition.
Un jour, un pli me parvint à l'hôtel, expédié par la poste, ne comportant aucune indication de provenance, aucun mot d'accompagnement. Il contenait les quatre récits, brefs et terribles, qu'on va lire. »
Pendant qu'il écrit son troisième roman, Langue maternelle, qui paraîtra en 1982, Josef Winkler loue une chambre dans une ferme de montagne de Carinthie. Il noue alors une relation de confiance avec sa logeuse, qui se met à lui raconter sa vie : née en 1928 en Ukraine, elle est arrivée en Autriche à l'âge de quinze ans, amenée de force avec sa soeur par l'armée allemande pour travailler dans une exploitation agricole.
C'est à Nietotchka Vassilievna Iliachenko que l'écrivain donne la parole dans la plus grande partie de ce livre. le lecteur suivra ainsi le destin douloureux de la jeune paysanne dont la famille fut éprouvée par les expropriations massives, puis par l'Holodomor, « l'extermination par la faim » infligée à l'Ukraine par le pouvoir soviétique.
Une figure, celle de la mère qu'elle n'a jamais revue, domine cette autobiographie d'une intensité bouleversante et dont Josef Winkler a tenu à préfacer la traduction française. Elle est accompagnée de documents authentiques : les lettres de la mère à ses deux filles.
Ce récit historique qui se déroule au XVIe siècle est consacré aux rencontres, en diverses occasions, entre le peintre Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel, dans un contexte marqué par les guerres d'Italie.
Bashõ est l'une des figures majeures de la poésie classique japonaise.
Par la force de son oeuvre, il a imposé dans sa forme l'art du haiku, mais il en a surtout défini la manière, l'esprit : légèreté, recherche de la simplicité et du détachement vont de pair avec une extrême attention à la nature. le haiku naît donc au bord du vide, de cette intuition soudaine, qui illumine le poème, c'est l'instant révélé dans sa pureté.
La vie de ce fils de samouraï, né près de kyoto en 1644, fut exclusivement vouée à la poésie.
Agé de treize ans, il apprend auprès d'un maître du haikai les premiers rudiments de ce genre. plus tard, après avoir lui-même fondé une école et connu le succès à edo (l'actuelle tokyo), il renonce à la vie mondaine, prend l'habit de moine, et s'installe dans son premier ermitage. devant sa retraite, il plante un bananier, un bashõ, offert par l'un de ses disciples - ce qui lui vaudra son pseudonyme.
Sa vie est dès lors faite de pauvreté, d'amitiés littéraires et de voyages. osaka sera le dernier. après avoir dicté un ultime haiku à ses disciples éplorés, il cesse de s'alimenter, brûle de l'encens, dicte son testament, demande à ses élèves d'écrire des vers pour lui et de le laisser seul. il meurt le 28 novembre 1694. sur sa tombe, on plante un bashõ.
" Qu'il meure de ma main ou que je meure de la sienne, il n'assouvira pas sa faim, il n'entendra pas le mot de l'énigme ; pas plus que je ne l'entendrai, moi, Aetius. Tout cela me lasse jusqu'à la mort. Tout cela doit être. Combattons. Des chevaux galopent, des flèches passent comme un vol d'ibis. Mon casque. "
Chili, octobre 1974.
Les forces armées du gouvernement de Pinochet encerclent la maison d'un jeune couple. Ils se nomment Miguel Enriquez et Carmen Castillo ; tous deux vivent dans la clandestinité. Il est l'un des responsables de la résistance et le dirigeant du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) ; elle, professeure d'histoire, a travaillé auprès de Salvador Allende avant le coup d'État et s'implique, depuis, au sein des réseaux de lutte contre la dictature militaire.
L'affrontement tourne au drame.
Treize ans plus tard, au terme d'un exil éprouvé de l'autre côté de l'océan, en France, la militante est autorisée à séjourner dans son pays natal. C'est, dit-on, « l'ouverture ». Mais ce pays, elle ne le reconnaît plus : partout, elle ne voit que le sourire satisfait des vainqueurs. Tout avait pourtant débuté dans la joie populaire : la redistribution des terres, la nationalisation de grandes industries, l'augmentation des salaires, l'extension de la sécurité sociale. Bref, les humbles enfin comptés.
En deux récits, ici rassemblés, la cinéaste Carmen Castillo nous fait traverser ces années de combat, d'élans et de fracas. La politique et l'intimité se fondent en une même langue, délicate et habitée.
Ces pages, signées contre l'oubli, se font désormais appel à refuser, en tout lieu, le cours des choses.
L'Histoire n'est qu'affaire de présent.
L'autrice
Trois moments de la vie du narrateur, trois ouvertures dans l'obscurité d'une existence, scandent ce récit troublant et vertigineux : les années de séminaire, celles de l'activisme politique et celles des débuts de sa vocation littéraire. Cette épopée individuelle retrace une lente et douloureuse tentative de renaissance qui puise sa vitalité dans le dérèglement des perspectives et l'obsession du franchissement des limites - autant de jeux de l'éternité susceptibles de transfigurer le monde.
Les trois expériences peuvent être vues comme trois tableaux de notre histoire récente : les années cinquante-soixante, pesantes et silencieuses, qui précèdent les explosions ; les luttes et les tumultes des années soixante-dix venues clore une époque inaugurée avec les grandes révolutions politiques des dix-huit et dix-neuvième siècles ; enfin, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, fascinantes et spectrales, qui amorcent le déploiement furieux de la modernité.
Porté par une prose imagée inventive et foisonnante, presque hypnotique, ce roman apparaît d'une originalité exceptionnelle dans le paysage littéraire contemporain.
« Ici, en haut, il y a une certaine heure. Les ravines et les bois, les sentiers et les pâturages deviennent d'une couleur vieille rouille, puis violette, puis bleue :
Dans le soir naissant, les femmes soufflent sur leurs réchauds, penchées au-dessus des marches, et le bruit des clarines de bronze arrive clairement jusqu'au village. Les chèvres se montrent aux portes avec des yeux qui semblent les nôtres. » La douloureuse question qu'une vieille femme, après laspus et repentirs, pose au prêtre d'un village perdu de l'Apennin, dans Maison des autres, ne peut avoir de réponse : l'univers minéral et désolé où elle affleure, par la magie d'une prose obsédante, se referme sur le drame indicible qui fait le livre.
Tout aussi dense est la rencontre d'un instituteur et d'un « veuf de village », à la fin de la guerre, dans Un moment comme ça, qui débusque le tragique sous l'apparence du sordide, et qu'on peut lire comme un double de Maison des autres dont la figure féminine serait absente.
Mais le vrai mystère de ces deux récits tient à la façon dont leur rythme même transforme en consolation la profondeur du deuil.