« L'élément populaire "sent", mais il ne comprend ou ne sait pas toujours. L'élément intellectuel "sait", mais il ne comprend pas toujours, et surtout il ne "sent" pas toujours. Les deux extrêmes sont par conséquent la pédanterie et le philistinisme d'un côté, la passion aveugle et le sectarisme de l'autre. Non que le pédant ne puisse être passionné, au contraire ; la pédanterie passionnée est tout aussi ridicule et dangereuse que le sectarisme et la démagogie les plus effrénés. L'erreur de l'intellectuel consiste à croire qu'il puisse "savoir" sans comprendre, et spécialement sans sentir, et sans être passionné (non seulement du savoir en soi, mais de l'objet de ce savoir), autrement dit cette erreur consiste à croire que l'intellectuel puisse être tel (et non un pur pédant) s'il est séparé et détaché du peuple-nation, c'est-à-dire sans sentir les passions élémentaires du peuple, en les comprenant, et donc les expliquant et les justifiant dans la situation historique déterminée, et en les rattachant dialectiquement aux lois de l'histoire, à une conception supérieure du monde élaborée scientifiquement et d'une façon cohérente : le "savoir" ; on ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, c'est-à-dire sans ce lien sentimental entre les intellectuels et le peuple-nation. »
En 1818, en pleine période de Restauration, quand la faillite de la Révolution française paraissait évidente, même ceux qui l'avaient d'abord saluée favorablement se préoccupaient de prendre leurs distances avec l'événement historique commencé en 1789 : la Révolution française aurait été une erreur colossale ou, pire, une honteuse trahison de nobles idéaux. Byron allait en ce sens lorsqu'il chantait : « Mais la France s'enivra de sang pour vomir des crimes/ Et ses Saturnales ont été fatales/ à la cause de la Liberté, en toute époque et pour toute la Terre ». Devons-nous aujour-d'hui faire nôtre ce désespoir, en nous limitant seulement à remplacer la date de 1789 par celle de 1917 et la « cause de la Liberté » par « la cause du socialisme » ? Les communistes doivent-ils avoir honte de leur histoire ?
Réfutant avec une grande rigueur historique et un style brillant les lieux communs de l'idéologie dominante, Losurdo met en évidence l'énorme potentiel de libération issu de la révolution russe et de la révolution chinoise.