Simon, un jeune anglais de 14 ans un peu rondouillard, est constamment l'objet de moqueries de la part des jeunes de son quartier, et il est recruté pour toutes sortes de corvées. Un jour où il fait les courses pour une diseuse de bonne aventure, celle-ci lui révèle quels vont être les gagnants de la prestigieuse course de chevaux du Royal Ascot. Simon mise alors secrètement toutes les économies de son père sur un seul cheval, et gagne plus de 16 millions de livres. Mais quand il revient chez lui, Simon trouve sa mère dans le coma et la police lui annonce que son père a disparu. Étant mineur, Simon ne peut pas encaisser son ticket de pari. Pour ce faire, et pour découvrir ce qui est arrivé à sa mère, il doit absolument retrouver son père. Au terme d'une aventure riche en péripéties et en surprises, Simon, l'éternel perdant, deviendra un gamin très débrouillard.
La couleur des choses de l'auteur suisse Martin Panchaud bouscule les habitudes des lecteurs et lectrices de bandes dessinées ; le livre est intégralement dessiné en vue plongeante sans perspective et tous les personnages sont représentés sous forme de cercles de couleurs. La couleur des choses oscille entre comédie et polar avec une technique graphique surprenante, mêlant architecture, infographies et pictogrammes à foison, qui font de ce roman très graphique un livre étonnant et captivant.
« L'amour des livres et de la lecture respire à travers ce chef-d'oeuvre. Je suis absolument certain qu'il sera lu même une fois que ses lecteurs actuels seront passés dans l'au-delà. Mario Vargas Llosa Vallejo a judicieusement décidé de se libérer du style académique pour choisir la voix du conteur. L'histoire n'est pas considérée comme une liste d'ouvrages cités, mais comme une fable. Ainsi, pour n'importe quel lecteur curieux, ce charmant essai est accessible et émouvant dans sa simplicité parce qu'il est un hommage aux livres par une lectrice passionnée. » Quand les livres ont-ils été inventés ? Comment ont-ils traversé les siècles pour se frayer une place dans nos librairies, nos bibliothèques, sur nos étagères ?Irene Vallejo nous convie à un long voyage, des champs de bataille d'Alexandre le Grand à la Villa des Papyrus après l'éruption du Vésuve, des palais de la sulfureuse Cléopâtre au supplice de la philosophe Hypatie, des camps de concentration à la bibliothèque de Sarajevo en pleine guerre des Balkans, mais aussi dans les somptueuses collections de manuscrits enluminés d'Oxford et dans le trésor des mots où les poètes de toutes les nations se trouvent réunis. Grâce à son formidable talent de conteuse, Irene Vallejo nous fait découvrir cette route parsemée d'inventions révolutionnaires et de tragédies dont les livres sont toujours ressortis plus forts et plus pérennes. L'Infini dans un roseau est une ode à cet immense pouvoir des livres et à tous ceux qui, depuis des générations, en sont conscients et permettent la transmission du savoir et des récits. Conteurs, scribes, enlumineurs, traducteurs, vendeurs ambulants, moines, espions, rebelles, aventuriers, lecteurs ! Autant de personnes dont l'histoire a rarement gardé la trace mais qui sont les véritables sauveurs de livres, les vrais héros de cette aventure millénaire.
Eté 1940 : la France est occupée. Certains pourtant refusent la fatalité : à Paris, au coeur du musée de l'Homme, quelques ethnologues se réunissent, bientôt rejoints par des gens de tous horizons - avocats, religieuses ou garagistes. Autour de Boris Vildé, d'Anatole Lewitsky, d'Yvonne Oddon, ces visionnaires posent les bases de la lutte qui mènera à la Libération : évasions de prisonniers, passages vers l'Angleterre ou la zone libre, et publication d'un journal clandestin, Résistance.
Mais ces insoumis de la première heure seront bientôt trahis, dénoncés à la Gestapo et, pour beaucoup d'entre eux, exécutés. Avec Des Vivants, Raphaël Meltz et Louise Moaty proposent un scénario d'une grande richesse et d'une profonde intégrité : aucun dialogue n'a été inventé, les paroles prononcées par les personnages sont les leurs. Au terme d'une vaste plongée dans d'innombrables documents d'époque - mémoires, lettres, témoignages, entretiens, journaux...
- ils composent ce récit en s'effaçant derrière la sincérité et la force de ces voix disparues. Simon Roussin, grâce à une mise en scène subtile et un dessin d'une grande maîtrise, redonne vie à ces fragments d'Histoire, déployant avec justesse tout leur souffle romanesque. Ensemble, ils composent une fresque puissante, rigoureuse et émouvante. Surgi très tôt, trop vite détruit, le réseau du musée de l'Homme est peu à peu sorti de la mémoire collective.
Cet album hors normes, à la fois enquête historique, roman de guerre et épopée grandiose, rend ainsi hommage à des hommes et des femmes emportés un jour par cette injonction formidable : résister. Une folle audace autant qu'une évidence ; l'unique moyen, au-delà de tout, de rester vivants.
Traversant Bruxelles-City d'un pas hésitant, ignorant les conseils d'un vieux sage, B cherche A. Garçonne, venue en calèche, sourde aux avertissements d'une comparse de voyage, A cherche B. A l'Hôtel Métropolis, A se cacherait sous le doux nom d'Incartade. B, enchaîné à un poteau, capturé par des Indiens de cinéma, ne peut que la voir s'échapper à l'horizon. Leur quête se poursuit jusqu'à ce qu'ils se retrouvent, s'abandonnant ensemble dans une profonde intimité, ouvrant la voie à un amour intense, absolu. Dans ces pages somptueusement réalisées, dans une mise en couleur directe à l'encre, un couple se cherche, se forme et cherche à se donner forme. Après La volupté, ou C'était le bonheur, Blutch célèbre la rencontre amoureuse, dans une romance traversée par un sentiment d'urgence, vécue sur un rythme haletant.
Sous l'oeil hautain d'un chat impassible, l'auteur avance, hésitant, essayant - vainement - d'échapper aux affres de la Création pour trouver le chemin du succès ! Pendant ce temps, l'éditeur travaille d'arrache-pied sur de nouveaux concepts : poésie pratique ; théories conspirationnistes de plages ; classiques résumés pour lecteurs pressés ! Le libraire, lui, tient bon la barre entre les avalanches de cartons et les demandes impossibles de son alter-ego infernal : le lecteur. Et les bibliothécaires ? ils poussent leur chariots, sans bruit, seuls à savoir qu'ils dominent dans l'ombre ce petit monde qui s'agite en vain. À grands coups de diagrammes abscons, de schémas absurdes et de strips hilarants, c'est le grand portrait du petit monde du Livre que Tom Gauld nous brosse ici, avec humour, finesse et intelligence ! Moins tatoué qu'Augustin Trapenard mais pas moins drôle que Bernard Pivot, Tom Gauld est publié chaque semaine dans le cahier littéraire du Guardian et il s'est imposé, en quelques années, comme l'un des auteurs incontournables du monde Anglo-saxon. Avec ce nouvel album, il nous offre de quoi réveiller notre rentrée littéraire... Lectrices, lecteurs, amoureux des livres de tout poil : voici votre nouveau livre de chevet !
" Mais... Manel Naher, c'est moi ! " Qui est donc cette autre Manel Naher, qui fait la Une des journaux ? Elle fait de l'ombre à Manel Naher, la vraie Manel Naher, l'héroïne de cette histoire ! Elle ne se rend pas compte qu'elle la met en danger, la vraie Manel Naher, en ayant tout ce succès ? Vous comprenez, si tout le monde se met à penser à cette Manel Naher qui devient célèbre, au lieu de penser à Manel Naher, qui passe ses journées au fond d'une petite librairie...
Eh bien : on risque de l'oublier, notre Manel. Et dans ce monde, si l'on ne pense plus à vous, alors vous mourrez, tout simplement. Penser à quelqu'un, c'est lui donner de la Présence. L'horizon, ici, est barré par les milliers de noms qui s'affichent de toutes parts, et les mendiants ne quémandent qu'une seconde d'attention... Survivre pour certains, devenir Immortel pour d'autres : c'est la Présence qui fait tourner cette ville tentaculaire.
Manel, elle, tournerait volontiers le dos à tout ça ; mais là-bas, au delà des grattes-ciel, il n'y a que le Grand Vide, d'où personne n'est jamais revenu... Léa Murawiec met ici son dessin virtuose au service d'un récit riche et lumineux, au rythme bouillonnant. Son talent et sa maîtrise illuminent ce premier livre enthousiasmant, et on se laisse avec bonheur emporter dans ce Grand Vide !
Márcia est infirmière dans un hôpital à proximité de Rio et vit dans une favela avec son petit ami Aluisio et sa fille, Jaqueline, qu'elle a eue très jeune avec un autre homme. Jaqueline, jeune adulte frivole et grande gueule, mène la vie dure à sa mère et Aluisio et fréquente assidûment les membres de l'un des gangs du quartier, ce qui est la source de violentes altercations entre la mère et la fille.
Le petit ami de Jaqueline en vient même à menacer Márcia à l'occasion d'un séjour à l'hôpital... La situation dégénère encore plus le jour où Jaqueline se fait arrêter par la police pour complicité de vols et recel de marchandises volées. Márcia et Aluisio, affolés, se rendent alors compte que Jaqueline est impliquée dans des affaires avec des criminels de haut vol et un groupe de policiers ripoux.
Marcia demande alors à Aluisio de surveiller Jaqueline, mais celui-ci risque gros... Ecoute, jolie Márcia est un nouveau roman graphique trépidant, aux couleurs flamboyantes, par l'un des auteurs les plus importants de la scène brésilienne contemporaine. Marcello Quintanilha réalise un nouveau tour de force avec ce récit très construit où les relations entre chacun des protagonistes se dévoilent au fur et à mesure dans un suspense mené de main de maître.
La récréation que fut pour elles l'écriture d'Orlando n'était pas même commencée que Virginia Woolf, au printemps 1927, songeait déjà à l'oeuvre «très sérieuse, mystique, poétique», qu'elle souhaitait écrire ensuite. Le livre, dans son esprit, s'est d'abord intitulé «Les Phalènes».
Elle a alors «l'idée d'un poème-pièce: l'idée d'un courant continu [...], d'une histoire d'amour». Elle y pense en écoutant sur son gramophone les dernières sonates pour piano de Beethoven. Mais elle ne l'écrira vraiment que deux ans plus tard, lorsqu'elle aura trouvé le titre dé nitif. Le livre achevé, tel qu'il se présente et comme le montre magistralement la préface de la traductrice est moins un roman qu'une élégie, une composition musicale, où le rythme est premier.
Du dehors, Les Vagues se présentent ainsi: neuf interludes annoncent neuf épisodes. Les interludes suivent la course du soleil, de l'aube au soir, les variations de la lumière, le rythme des vagues, l'état d'un jardin, d'une maison, le chant des oiseaux. Dans les épisodes, six personnages qui sont plutôt des voix, des fantômes qui hantent la romancière, comme ces phalènes venus battre contre la vitre dont l'image l'a tellement marquée: Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny, Louis, dans l'ordre de leur apparition. Chaque épisode marque un moment important de leur vie - enfance, école, université, dîner d'adieu, mort de Perceval ( gure centrale dont le modèle est oby, le frère de Virginia, trop tôt disparu), vie, maturité, Hampton Court, monologue de Bernard. Comme l'écrit Mona Ozouf: «l'un des charmes du livre - au sens fort est magique du terme - tient à l'investigation, sans cesse déçue, sans cesse relancée, où il précipite son lecteur. Avec les indications fugitives de Virginia, nous nous ingénions à recomposer l'identité de chacun: l'éclat sensuel de Jinny, l'évanescence tragique de Rhoda, la plénitude maternelle de Susan, la solitude de Louis, l'homosexualité de Neville, le détachement de Bernard.» Mais il tient aussi au fait que ces «personnages» n'en sont pas, et que la eur à sept pétales qu'ils composent avec Perceval n'est autre que la romancière elle-même dont ils sont aussi les re ets, chacun représentant une part d'elle-même. Le livre peut donc être lu aussi comme une autobiographie de l'écrivain, où la littérature est constamment présente, à travers chacune des six voix, à chaque âge de la vie. Écrire, pour Virginia Woolf, c'est, nous dit Cécile Wajsbrot : «s'insérer dans une lignée littéraire [...] et se placer aux côtés de Shakespeare, de Shelley, en explorant d'autres territoires, de brume et d'interdit, car les maîtres sont des aventuriers. C'est le pari des Vagues, ambitieux et secret, une autobiographie, une élégie, mais une autobiographie mystique - mystique de la littérature.»
Après Shenzhen, Guy Delisle a poursuivi son travail nomade d'animateur à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord. Si on peut retrouver son regard personnel et circonspect sur un autre pays asiatique, Pyongyang présente en outre l'intérêt de donner des informations sur la vie quotidienne d'un des pays les plus secrets et les plus tyranniques du monde.
« Une bonne histoire, aujourd'hui encore, c'est souvent l'histoire d'un mec qui fait des trucs. Et si ça peut être un peu violent, si ça peut inclure de la viande, une carabine et des lances, c'est mieux... » Mais quelle place accorde-t-on dans ces histoires aux personnages féminins et à la représentation de leur corps ? Alice Zeniter déconstruit le modèle du héros et révèle la manière dont on façonne les grands récits depuis l'Antiquité. De la littérature au discours politique, elle nous raconte avec humour et lucidité les rouages de la fabrique des histoires et le pouvoir de la fiction.
Nous crachons sur Hegel est le livre le plus connu de Carla Lonzi, ici traduit intégralement pour la première fois. Il expose et concentre toute la pensée de cette figure emblématique du féminisme radical italien, et sera accompagné d'une postface soulignant l'inscription évidente de cette voix puissante dans la constellation des féminismes d'aujourd'hui. Le titre résume de la manière la plus irrévérencieuse la critique féministe du « projet révolutionnaire » marxiste - dont Hegel est la métonymie. Repère décisif de l'histoire du féminisme, cette pensée « à coups de marteau », à la fois en décalage avec les revendications féministes de son époque et en résonance anticipée avec les débats d'aujourd'hui, apporte des éclairages d'une étonnante fraîcheur sur des thématiques aussi diverses que le corps, les enjeux socio-politiques du désir, du sexe et de l'amour, le patriarcat en tant qu'instrument capitaliste et culturel de domination.
Pendant quelque trois mille ans, le bassin méditerranéen a été un foyer de civilisation de premier ordre. Il a exercé une influence majeure sur les affaires du monde.
David Abulafia retrace ici l'histoire d'une mer à hauteur d'homme, de la guerre de Troie à la piraterie, des batailles navales entre Carthage et Rome à la diaspora juive des mondes hellénistiques, de la montée de l'Islam aux Grands Tours du XIXe siècle jusqu'au tourisme de masse du XXe siècle.
Plutôt que d'imposer une unité artificielle à l'activité foisonnante qui se déroule à la surface de la « Grande Mer », David Abulafia insiste sur sa diversité, qu'elle soit ethnique, linguistique, religieuse ou politique.
Au coeur de sa thèse se trouve l'idée que la prospérité de cités maritimes telles qu'Alexandrie, Trieste, Salonique, Venise et beaucoup d'autres, a reposé pour une large part sur leur capacité à accueillir peuples, religions et identités et à leur permettre de coexister : la Méditerranée a incarné pendant des millénaires ce lieu exceptionnel où religions, économies et systèmes politiques se sont rencontrés, affrontés, influencés et finalement assimilés.
David Abulafia combine la recherche historique la plus exigeante avec le style enlevé du conteur. Son histoire de très longue durée a été unanimement saluée comme une splendide réussite.
« Au centre de cette histoire, il y a le corps d' une femme, ses hantises et ses obsessions, & il y a la nature. C' est l' histoire d' une échappée belle, d' une femme qui quitte, presque du jour au lendemain, tout ce qui déterminait son identité sociale.
Elle sort de stase et se met en mouvement. Son départ est d' abord une pulsion, une sorte de fuite vers l' avant qui tient du road movie, avec de longues traversées de paysages en voiture, en auto-stop, puis à pied.
De la fuite et l' errance du départ, cette échappée va se transformer en nomadisme et en un voyage vers la réalisation de soi.
L' Arrachée belle, c' est une échappatoire à une situation vécue comme oppressante : une vie de couple dont la violence réside dans l' absence de relation, dans le vide entre les corps, dans les non-dits, l' incompréhension, la distance qui se creuse. J' ai voulu faire ressentir la violence de ces quotidiens subis, cette perte de sens qui est devenue pour la femme une absence au monde et à elle-même, et que l' on nomme en psychologie un syndrome de déréalisation et de dépersonnalisation, une façon de s' extraire de ce qu' on ne peut pas supporter, symbolisée par l' absence de prénom de la narratrice. »
Cette rare nouvelle de Bounine, quasiment introuvable, Les songes de Tchang, datée d'octobre 1916 fait suite à La Barque à Un monsieur de San Francisco (1915). « Chaque être est digne d'attention... », ce sera ici Tchang, vieil ivrogne chien somnolant, compagnon canin du capitaine qui lui sert sa vodka, avec lequel six années durant « il lia sa vie terrestre ». « Six années enfin, c'est beaucoup ou peu ? », c'est le temps de vieillir ensemble, sans plus voyager, sur terre et non plus sur mer, dans le plus grand dénuement, avant d'avoir à finir ses jours. Ce sera « désormais avec les yeux de la mémoire » que Tchang verra le capitaine, c'est que même, se retrouvant avec son nouveau maître, le peintre ami du capitaine installé dans « un galetas de plus, mais plus chaud, parfumé de l'odeur du cigare, couvert de beaux tapis, garni de vieux meubles, d'immenses tableaux et de précieux brocarts... », il ne l'aura pas quitté. Demain, quel demain ? En cette vie, dormir est un passe-temps. Autant se rendormir. Voici alors que le rêve de Tchang nous est conté, débutant sur le pont d'un bateau, « sur un large fleuve de Chine »...
Ce livre rassemble des interventions répondant à la contrainte d'un présent : une série d'irruptions de la logique de l'égalité et du pouvoir de « ceux qui ne sont rien » - des indignés et Nuit debout aux Gilets jaunes et leurs ronds points ; l'émergence des populismes et le devenir autoritaire de la version « consensuelle » et « policière » de la démocratie ; le renouveau du racisme d'État et des passions inégalitaires - islamophobie, politiques anti-migrants et anti-roms, néorépublicanisme réactionnaire. Ce recueil est le témoin de la capacité d'un philosophe, dont toute la carrière s'est vue consacrée à défendre le sens égalitaire de la démocratie contre son dévoiement oligarchique, à prendre position sur trente années et intervenir dans la conjoncture politique et sociale.
Depuis trente ans la contre-révolution intellectuelle a cherché à transformer toutes les luttes sociales et les mouvements d'émancipation du passé en prodromes du totalitarisme, toutes les affirmations collectives opposées au règne des oligarchies économiques et étatiques en symptômes d'égoïsme et d'arriération.
Les interventions ici réunies veulent à l'inverse rendre sensibles les ruptures que les inventions égalitaires opèrent dans le tissu de la domination. Elles n'apportent pas le point de vue du savant ou du moraliste, mais seulement une contribution individuelle au travail par lequel individus et collectifs sans légitimité s'appliquent à redessiner la carte du possible.
Engagés, les livres et la presse jeunesse le sont tous, sans exception. Seuls certains sont militants. Tous proposent des représentations et des points de vue qui, à des niveaux divers d'intention, de conscience et d'intensité, sont empreints des substrats affectifs, idéologiques et esthétiques de celles et ceux qui les créent, de leurs univers matriciels. Ce qui en fait des objets culturels éminemment politiques rarement considérés comme tels. Le présent essai souhaite d'une part, mettre en lumière les formes anciennes et nouvelles de la mise en scène normative qui innerve l'offre de lecture adressée aux enfants depuis plus de deux siècles, en soulignant des errances, des avancées, les évitements persistants, la créativité et la fécondité de ce champ culturel qui est aussi un marché. Il souligne d'autre part l'importance déterminante des conditions de la réception de l'offre par ses destinataires et le rôle fondamental à venir de lieux et de dispositifs de qualification du jeune lectorat, alors que le monde peine à rendre son avenir désirable. Il espère lever des lièvres et susciter des curiosités et des appétits nouveaux en proposant des lectures critiques, ainsi que des lectures actualisées, historiquement hérétiques, de publications parfois anciennes, provisoirement décontextualisées et confrontées à une interprétation d'aujourd'hui, propre à montrer tant les lignes de force, les subtilités, le charme et l'efficience pérenne d'une production du passé que l'apport du mouvement des idées. Pointant les grands évitements thématiques de l'offre à propos du corps, de la famille, de la sexualité, du genre, de l'économie, d'une écologie radicale, de la violence, de l'alimentation... et du politique - ce Grand Méchant Mot -, il défend enfin une politique de la lecture d'un genre nouveau, ouvrant sur une lecture littéraire du monde à envergure sociale et sur de possibles utopies concrètes puisque, comme l'écrit Gaston Bachelard : « On ne veut bien que ce qu'on imagine richement, ce qu'on couvre de beautés projetées. »
De nos jours, dans notre Occident moderne et progressiste, il est difficile d'imaginer de politique publique qui ne fasse mention des droits des femmes.
Selon un retournement particulièrement cruel, les gouvernements n'en retiennent que l'aspect le plus franchement répressif, à savoir la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans ce livre, et après avoir signé un pamphlet pour un féminisme décolonial, Françoise Vergès propose de prendre à brasle- corps ce pont aux ânes des violences.
Comment un caractère typographique est-il dessiné ? Qu'est-ce qui différencie les familles de caractères ? À quoi servent les pictogrammes ? Ce Cahier d'exploration graphique est un livre-jeu permettant la découverte des fondamentaux du design graphique. En cinq séquences - typographie, affiche, signes, identité visuelle et mise en pages - Sophie Cure et Aurélien Farina nvitent le lecteur à prendre conscience de la multitude de signes qui, jour après jour, façonnent notre quotidien et le chargent de sens. Commencer à s'intéresser au design graphique, c'est commencer à observer et comprendre le monde qui nous entoure et les objets qui le façonnent : que ce soit un panneau stop, un emballage de corn-flakes, une pochette de disque psychédélique, le titrage aguicheur d'une couverture de magazine, la typographie plus discrète d'une page de roman, une enseigne de pharmacie qui clignote ou encore le générique d'un film de science-fiction
Confrontant l'histoire des luttes passées à l'immense défi du réchauffement climatique, Andreas Malm interroge un précepte tenace du mouvement pour le climat : la non-violence et le respect de la propriété privée. Contre lui, il rappelle que les combats des suffragettes ou pour les droits civiques n'ont pas été gagnés sans perte ni fracas, et ravive une longue tradition de sabotage des infrastructures fossiles. La violence comporte des périls, mais le statut nous condamne. Nous devons apprendre à lutter dans un monde en feu.
Livre majeur d'un poète mort jeune, Il mio Carso (Mon Karst), évoque le haut-plateau calcaire qui fait le lien, autour de Trieste, entre le nord-est italien et le nord-ouest croate. C'est son oeuvre la plus importante, le seul roman de sa brève carrière littéraire, prématurément interrompue par la guerre. Il s'agit d'un parcours au ton lyrique qui forge ce que l'on peut nommer son autobiographie intellectuelle et morale. D'une écriture d'une grande douceur, le récit témoigne du cheminement de l'auteur, exalté tel un artiste en devenir, confiant en ses capacités et en son égo. Le narrateur sera foudroyé par le suicide de son amante, Anna Pulitzer. Ravagé, il est alors amené à s'interroger sur son existence et à souhaiter un cadre existentiel bâti sur des principes plus essentiels
Ce livre est le plus tardif de Gu Cheng, poète chinois des plus inventifs, extrêmes, surprenants et doués de la seconde moitié du xxe siècle. D'un genre difficile à définir, ce livre mêle la comptine, le conte philosophique taoïste, la gatha zen, le pamphlet et des dessins improvisés au stylo réalisés en 1990, le tout en un maelström poétique inédit en sa forme. Il est à noter que lorsqu'il était en proie à une forte émotion et à la colère, Gu Cheng n'écrivait pas mais se consacrait à d'autres arts, dont le dessin. Chaque vers, chaque texte est d'une concision extrême. Le rythme est celui, rapide, des textes anciens. Le ton en est enfantin, drôle, libre. Il s'agit d'amuser bien qu'ils témoignent des tragédies qui se jouent alors : son amour avec Xie Ye, la faim et la nourriture, la pauvreté, la lutte organique entre l'esprit et la matière...
Qu'est-ce que je ressens, moi, décolonisé, quand je contemple une photo de cette époque, de ce passé qui, sur injonction, a été décrété contemporain-pour-toujours ? Qui suis-je dans ce miroir qui devrait me refléter, et qui cependant m'efface pour toujours au présent ?
Il me faut scruter les détails, objets, silhouettes, bosquets, magasins, automobiles, qui peuplent l'arrière-plan ; les ombres aussi. Je tente d'aileurs de faire irruption dans celui-ci. Je m'imagine réincarné en 1961 : debout dans un angle mort, penché à une fenêtre, traînant dans une rue d'Alger, jetant un regard anxieux sur une « roumia », crapahutant sur la colline pelée... J'invente ma propre possibilité de vivant à cette époque.
Raymond Depardon photographie ce qu'il voit à la jonction de ce qu'il ne voit pas. Je regarde ce que je ne vois pas, en croyant savoir ce que cela signifie. Son oeil dans ma main. Son corps est ma mémoire.
Ce qui m'intéresse chez le photographe, c'est son corps, son errance, son voyage : je me glisse en lui, j'épouse ses mouvements, son regard, sa culture, ses préjugés peut-être, mais aussi sa singularité. Errance de déclic en déclic.
Je deviens une monstrueuse et fascinante coïncidence. Une possibilité, même brève et limitée, d'omniscience.
Ne devrais-je pas, alors, éprouver un sentiment proche de la frayeur ?
En parcourant ces photos, arraché à mon millénaire, transporté vers un autre, je pourrais tressaillir violemment. Je pourrais hurler à la possession - hurler d'effroi et de gratitude.
Paris n'est plus ce qu'il était : oui, c'est vrai, et heureusement ! Que ne dirait-on pas s'il était resté comme au temps où Diderot allait chaque soir rêver sur son banc au Palais-Royal ? Paris est un organisme vivant qui change sans cesse depuis lors et même avant, en mal ici, en bien ailleurs. Ce livre est une incitation à ouvrir les yeux, à tendre l'oreille pour percevoir le tumulte de cette capitale indomptable, du périphérique à la place Vendôme, du marché d'Aligre au marché de Belleville, du tabac au zinc, de Balzac à Sartre - Paris, tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change.
Maurice Garçon (1889-1967) fut l'un des plus grands avocats de son temps. De 1912 à sa mort, il a consigné les événements, petits et grands, dont il était le témoin ou l'acteur.
Il vient de prêter serment quand il commence ce journal, loin d'imaginer qu'il va devenir monumental. Il s'agit, dit-il, de « simples notes » au fil de la plume, jamais retouchées. Petites scènes, portraits, encore un peu scolaires. Et bien vite, il trouve son style, celui d'un exceptionnel observateur.
Les premiers temps sont rudes, bouleversés par la Grande Guerre. Réformé, il souffre d'être considéré comme un planqué mais, devant les conseils de guerre, il apprend le métier.
Et quand il ne travaille pas, il décrit l'atmosphère qui s'alourdit. Jusqu'à l'armistice qu'il « couvre » comme un reporter. Il en a l'oeil et se débrouille pour être partout où il se passe quelque chose, comme plus tard, au Bourget, à l'arrivée de Charles Lindbergh.
Familier des estaminets du Quartier latin, il rencontre des artistes, des auteurs qu'il se fera une spécialité de défendre. Et les clients affluent, l'obligeant parfois à négliger son journal.
Entre plaidoiries de routine et intérêts de Coco Chanel, il parvient à courir les premières et, plus inattendu, à satisfaire sa curiosité pour le paranormal.
Les scandales des années 1930 lui donnent matière à réflexion, penché sur un dossier proche de l'affaire Stavisky. Son mépris de la corruption des confrères députés, présidents du Conseil passés et futurs, s'épanche, sans parler de ses colères à l'encontre des magistrats.
Maurice Garçon mord mais n'est pas lui-même à l'abri des préjugés racistes et antisémites. Il ouvre les yeux à Berlin, peu après la Nuit de Cristal, alors qu'il va représenter la famille du diplomate assassiné par Herschel Grynszpan. La guerre, à nouveau, sera bientôt là.