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La Barque
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Vie auprès du courant
(nouvelle édition)
Traduction
Céline Romand-Monnier
(avec la complicité de Guri Vesaas & Olivier Gallon)
Édition bilingue sans vis à vis
Paru à l'automne 1970 aux éditions Gyldendal à Oslo quelques mois après la mort de son auteur, "Vie auprès du courant" ("Liv ved straumen") est l'ultime livre de Tarjei Vesaas.
Ce livre de poèmes entièrement versifiés reparaît ici aux éditions La Barque dans sa traduction française, neuf ans après sa première parution en mars 2016. Une plus ample postface l'accompagne, portant plus généralement sur l'oeuvre de l'immense écrivain norvégien, révélant des rapports et des liens des livres entre eux, par-delà les genres considérés (romans, pièces, poèmes). Par ailleurs, outre le portrait de Tarjei Vesaas préservé en quatrième de couverture, des photographies nouvelles ont été intégrées à l'intérieur.
Vesaas y apparaît lui-même, comme dans ses oeuvres romanesques, cependant que là, semble-t-il, se joue l'un des aspects les plus marquants de son oeuvre, plus « nu » sans doute encore, et parfois plein d'humour. Un don véritable... -
(inédit)
S'inspirant d'un séjour en hôpital psychiatrique en 1935, ce récit de la poétesse autrichienne, Christine Lavant, ne fut publié la première fois en Allemagne qu'en 2001 après avoir été retrouvé dans la succession de sa traductrice anglaise.
Si l'on connaît déjà une partie de sa poésie et d'autres de ses principaux textes en prose ("L'Enfant", "La Mal-née"), c'est la première fois que cette prose importante, faisant par endroits songer à Beckett, paraît en français.
Elle y décrit ses relations avec les autres internées - la dénommée La Reine (la vieille bossue), Berta (qu'une danse saisit), Minna (qui « porte en elle un enfant »), Arbrisseau (« la grande maigre »)... -, et avec le personnel hospitalier - Noisette (l'infirmière), Monsieur le médecin-chef qui lui demande ce qu'elle écrit et qui s'étonne auprès de son collègue qu'elle soit le « premier cas qui se soit présentée de sa propore initiative »... Et y fait part de ses observations journalières et de ses réflexions, comme lorsqu'elle s'étonne, dans les pas de Tchekhov cette fois (notamment dans La Salle no 6, livre paru à La Barque en avril 2024), «du fait que ceux qui sont appelés ici à apaiser et à soigner ne prennent pas le temps nécessaire pour comprendre les cheminements particuliers de la pensée des malades», ou quand elle se demande « qui sait pendant combien de temps encore les infirmières lui diront Vous et Mademoiselle », quand sera franchi la limite où elle cessera d'être « une simple invitée », et sera une folle à part entière : « Rien de plus qu'une folle qui chantonnait des choses confuses : ''A e i o u, que serai-je demain ? D'abord j'ai été terre, puis pierre, puis un arbre et une fleur... Mais il se trouve qu'une fenêtre était ouverte, une grande et merveilleuse fenêtre. A e i o u, j'étais touchée de tous côtés et plus qu'une forêt balayée par le vent... mais ils me l'ont fermée, la fenêtre, ils me l'ont fermée avec leurs grandes ailes noires. A e i o u, terre, pierre et arbre et nul ne saisit le mot sous les ailes muettes...'' »
C'est aussi un livre d'une grande humanité, où se découvre l'amour. -
édition bilingue / inédit
"Styx" est le premier recueil d'Else Lasker-Schuler (1869-1945). Il parut en 1902 à Berlin, chez Alex Juncker.
Tout est là, déjà, de son univers poétique, en son tissage de configurations imaginaires, d'une judéité indissociable d'une féminité, et d'images transmises de génération en génération, dont elle insuffle en retour pareillement la vie. Monde paralle'le poreux à la vie donc, mais aussi contre-monde poétique de liberté, exaltant les sens en une offrande de désir, ou' l'érotisation du corps de la femme n'en est pas moins le corps du texte d'une langue elle-me^me érotisée.
Poe'mes-chansons et comme le titre de l'un d'eux en ce livre « Chanson-Danse ». Poe'mes- adresses tout aussi bien, à un « Toi » ou à un « Tu » multiple, explicite lorsqu'elle s'adresse à la mort qu'elle apostrophe - « Que veux-Tu de moi, la Mort ! » (« Jeunesse ») - autrement moins saisissable, double: un amour, Dieu... Sa me're, morte en 1890, dont elle garda sa vie durant la nostalgie d'un amour maternel, est là aussi, et son fils à qui elle donna le me^me prénom que son fre're Paul mort quant à lui à 21 ans en 1882... « Tes yeux regardent pleins d'espoir devant ma vie » est le premier vers de son poe'me « E'toiles du Fatum », ou' « D'étranges étoiles regardent fixement vers la terre ».
Le « moi », lui aussi multiple, sien biographique assimilé au « moi » de son poe'me « Sulamite », se « dissipe dans l'espace, / Dans le temps / Dans l'éternité ». Il se peut ailleurs celui d'un vent comme elle bru^lant allant se refroidissant - « Moi, le vent bru^lant du désert / Je me refroidissais et prenais forme » (« Douleur du monde »). La forme qu'elle prend ici est celle d'un Sphynx en pierre...
«Toi», «Moi» enfin qu'appelle de ses voeux un «Nous» impossible, sinon sans durée: « Je nous voulais, Toi et moi, une énergie, / D'un me^me sang » (« Viva ! »).
*
«Elle a des ailes et des entraves, la jubilation de l'enfant, la ferveur de la bienheureuse fiancée, le sang las de millénaires d'exil et de blessures chargées d'ans.», écrivait d'elle Peter Hille, le « Saint Peter Hille » du poe'me lui rendant hommage, « L'Ange déchu ». En ce portrait, il y voyait aussi « une Sapho qui a vu l'univers se briser en deux morceaux. »
(présentation de l'éditeur) -
Marginalia à 'La Naissance de la tragédie' de Friedrich Nietzsche
Rainer Maria Rilke
- La Barque
- 5 Novembre 2024
- 9782917504741
Inédit en français.
Suite, reprise ou pendant à "Notes sur la mélodie des choses" (1898), les "Marginalia à "La Naissance de la tragédie" de Friedrich Nietzsche", jusqu'alors inédits en franccais et retrouvés dans la succession de Lou Andreas-Salomé, datent de 1900. Ainsi, Rilke poursuit-il sa réflexion entamée deux ans auparavant, et en appelle à « l'homme intemporel », à l'écoute profonde de « l'ample mélodie de l'arrie're-fond » qui le conduit depuis les grecs jusqu'au matin du xxe sie'cle à une pensée sur l'art convoquant la peinture, plus encore fortement le théa^tre et la poésie, la sienne tout particulie'rement, ainsi que, bien entendu, la musique elle-me^me avec laquelle, on le sait, il entretint un rapport ambigu cependant qu'il y voyait « la premie're expression parfaite » de ce qu'il situe à l'origine : « le ressac de l'illimité. »
Les "Marginalia" sont aussi l'oeuvre critique d'une lecture essentielle du texte de Nietzsche duquel parfois il s'éloigne, confirmant son intére^t d'alors pour le philosophe tout en préférant compter sur ses seules ressources intérieures. -
Cette rare nouvelle de Bounine, quasiment introuvable, Les songes de Tchang, datée d'octobre 1916 fait suite à La Barque à Un monsieur de San Francisco (1915). « Chaque être est digne d'attention... », ce sera ici Tchang, vieil ivrogne chien somnolant, compagnon canin du capitaine qui lui sert sa vodka, avec lequel six années durant « il lia sa vie terrestre ». « Six années enfin, c'est beaucoup ou peu ? », c'est le temps de vieillir ensemble, sans plus voyager, sur terre et non plus sur mer, dans le plus grand dénuement, avant d'avoir à finir ses jours. Ce sera « désormais avec les yeux de la mémoire » que Tchang verra le capitaine, c'est que même, se retrouvant avec son nouveau maître, le peintre ami du capitaine installé dans « un galetas de plus, mais plus chaud, parfumé de l'odeur du cigare, couvert de beaux tapis, garni de vieux meubles, d'immenses tableaux et de précieux brocarts... », il ne l'aura pas quitté. Demain, quel demain ? En cette vie, dormir est un passe-temps. Autant se rendormir. Voici alors que le rêve de Tchang nous est conté, débutant sur le pont d'un bateau, « sur un large fleuve de Chine »...
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Parmi ses derniers écrits, dans « Répéter les symptômes », Rosmarie Waldrop déplie les mots et le temps (le travail du temps) le long de onze parties introduites principalement chacune par un verbe annonciateur. La dernière partie, comme dans la vie, étant «?vieillir?». Keith Waldrop, son mari, là à côté, est présent dans ce livre... C'est aussi la mort et le corps vieillissant qui se rappellent à la pensée. Le sens des mots, leur origine comme leur devenir au sein d'une phrase au contact d'autres mots, est un prisme au travers duquel la vie diffuse sa lumière?; cependant que là, parmi les espaces blancs de la page, «?l'épaisseur de l'ombre?» (Faulkner), «?la masse nocturne qui entoure?» (R. Waldrop) se révèle en conscience?: il s'agit toujours de ne pas ignorer les mots, ni de se laisser par eux ignorer. Il y a beaucoup à recevoir de ce livre magnifique, magistralement composé.
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Giuseppe Bonaviri est ne´ en 1924 a` Mineo (Sicile), point de de´part de toute son oeuvre et e´picentre de son imaginaire. Ce roman fabuleux, "La divine fore^t" (paru en 1969) n'y e´chappe pas, et «l'homme de Mineo», via la voix du narrateur, fait de´buter son histoire pleine d'aventures dans un monde alors naissant, « lorsqu'il n'y avait ni haut ni bas et que l'air ne s'e´tait pas encore se´pare´ de la surface des eaux ». Le narrateur, alors incomple`tement forme´, naissant lui-me^me, e´volue de transformation en transformation, amorce de vie cellulaire d'abord, puis plante, puis oiseau, plus pre´cise´ment rapace : c'est finalement en tant que vautour qu'il connai^tra le monde et aura acce`s a` lui. Le nom du narrateur de me^me e´volue, comme sous l'influence du temps, selon qui l'appelle. Ainsi, alors «tombe´ dans un nouvel aspect», il est pour Grumina, sa premie`re compagne («Nous sommes deux enfin.») Fermenzio; puis se retrouvant plante de bourrache, il devient Senapo... ce, jusqu'a` porter le nom d'Apomeo avec celle qui sera sa future compagne, Toina. Laquelle, sous l'emprise d'une indicible me´lancolie, finit par disparai^tre. Le vautour, accompagne´ de Michele le vieil hibou et de Cratete le merle, rejoints un temps par Pirrone et Fliunte chacun dauphin, part alors a` sa recherche. En vain... Revenu dans la valle´e de Fiumecaldo, nai^t, autour du vieux Michele notamment, ce qui prend tournure d'une e´cole phi- losophique que co^toient nombre d'oiseaux et autres animaux jusqu'a` ce que, a` la mort du vieux Michele, « l'e´cole du caroubier » ne s'arre^te et que le vautour narrateur, conduit vers la cruaute´, ne soit pris de folie meurtrie`re... Sur sa route, il croise des hommes et a` leur suite de´couvre des incendies, « car la grossie`re ignorance des hommes e´tait en train de corrompre l'aspect du monde ». C'est alors que, sorti de sa de´mence, il de´cide de repartir a` la recherche de Toina qu'il ne parvient pas a` oublier, accompagne´ cette fois du pivert Panezio, du rouge-gorge Apollodoro, et du grand-duc Antistene, pour un long voyage vers la lune, plus haut, toujours plus haut...
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Salué dès sa parution en 1906 par un des plus grands critiques allemands de l'époque, Alfred Kerr, Les égarements [dans notre traduction] de l'élève Törless fut le seul succès littéraire de Musil de son vivant.
Ce roman philosophique, autrement qualifié de « roman d'apprentissage », débute avec l'entrée du jeune Törless dans une école privée huppée de la fin de la monarchie en Autriche-Hongrie. Jusqu'au moment où un événement majeur se produit au sein de l'école : un vol d'argent, soit un acte hors des normes d'une idéologie aristocratique régissant l'éducation de ces jeunes gens destinés aux plus hautes fonctions...
Ce qui intéresse Musil dans son livre, c'est la nature des troubles auxquels la sensibilité littéralement hors du commun de Törless est exposée. Opposition de ce fait mise à l'épreuve par une connivence de l'élève avec des congénères mus par une double ambition, politique pour l'un et philosophique orientaliste pour l'autre. Cette ambition a besoin d'une victime, laquelle sera précisément l'auteur du vol, Basini, qui, identifié comme tel, va faire l'objet de sévices sexuels. Törless ne s'identifiera quant à lui jamais ni à cette double ambition ni aux souffrances de la victime ; cependant ce que les tortionnaires sexuels ressentent en torturant et ce qu'éprouve la victime l'interrogent... -
« Si vous me permettez cette comparaison un peu hasardeuse, je dirai que les livres, c'est la partition, et la conversation - le chant. » Andreï Efimytch Raguine à Mikhaïl Averianytch Sombre et lucide, cette prose parue en 1892, marquée par le retour cette même année de Tchékhov à la médecine, se passe principalement dans un hôpital délabré et crasseux, dans une petite ville paumée. Dans cet hôpital un pavillon, et dans ce pavillon une salle, la dénommée Salle n°6, réservée aux fous, soient-ils inoffensifs, que le rustre gardien des lieux, Nikita, n'hésite pas à rouer de coups. Peu présent quant à lui, ayant perdu le goût des consultations auxquelles il ne croit plus, le docteur Andreï Efimytch Raguine vit dans son petit confort, ses réflexions et ses livres, sirotant là sa bière, là sa vodka. Mais il souffre terriblement de solitude et c'est un interlocuteur digne de ce nom qu'il lui faudrait trouver. Quelqu'un avec qui il pourrait parler et qu'il prendrait plaisir à écouter. Ce sera finalement Ivan Dmitritch Gromov, l'un des cinq fous de la salle n°6, un homme âgé de trente-trois ans, « noble de naissance, ancien huissier et secrétaire de collège », souffrant de manie de persécution. Avec lui, la conversation touche à des sujets que le docteur ne pensait jamais pouvoir aborder : la souffrance, l'indifférence, la philosophie stoïcienne... Le livre atteint son sommet dans leur échange, au plus près dans sa partition de son coeur. Du narrateur, s'exprimant à la première personne du singulier lorsqu'il touche à la personne de Gromov (« J'aime son visage large aux pommettes saillantes... »), se rapproche ainsi l'auteur lui-même, mais aussi surtout, dans la narration, Raguine de Gromov, son double en miroir inversé, qu'il va rejoindre... O. G.
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Conrad Aiken (1889-1973), avant tout poète, mais aussi romancier... nous livre ici l'une de ses nouvelles les plus bouleversantes.
Nous pénétrons dans un royaume de neige perçu et éprouvé par le jeune Paul Hasleman, âgé de 12 ans.
Peu à peu happé par la magie de son monde, Paul éprouve les plus grandes difficultés à répondre aux nécessités du quotidien, aux questions qu'on lui pose à la maison avec ses parents, à l'école avec la maîtresse d'école, puis avec le médecin contre le pouvoir duquel, surtout, il se voudrait ne pas faire figure « d'un cas ».
Paul cherche à préserver son secret (le secret de la neige), sans blesser, cependant qu'il lui devient aussi de plus en plus difficile de le taire. Dans ce texte inouï, où la folie côtoie le conte, rien n'est enfermé. Merveilleux.
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Avec cette prose, Ivan Bounine (1870-1953), écrivain (nouvelliste, romancier) et poète, déploie son art de la sensation, portant un regard précis et ample à la fois sur le monde qui l'entoure au travers d'une constellation de personnages de classes et de catégories sociales diverses, les uns servant les autres, chacun saisi dans une distance, et selon le degré de leur apparition, trouvant à s'incarner dans la magie de son écriture. Qu'il s'agisse du déclin d'un monde amené à disparaître, rappelé par le nom même du paquebot qui conduit le Monsieur de San Francisco accompagné de sa femme et de sa fille dans l'Ancien Monde depuis le Nouveau Monde, l'Atlantide, jusqu'à la ville de Babylone dont il est fait référence en exergue dans une citation extraite de « L'Apocalypse » (Chapitre 18), ou du déclin d'un homme que la mort soudaine emporte, tout ici est vacuité sans que toutefois la vie ne soit abandonnée à une noirceur par trop nihiliste. Ivan Bounine reçut en novembre 1933 le prix Nobel de littérature. C'était la première fois que ce prix était décerné à un écrivain russe. Il est mort en exil, alors en France, misérable, sans être rentré en Russie. Cette nouvelle datée d'octobre 1915, ici traduite par Christian Mouze, n'avait jamais été retraduite depuis 1934, date à laquelle elle paraissait sous la traduction de Maurice Parijanine pseudonyme de Maurice Donzel.
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Pour la première fois en français, ici dans la traduction du polonais d'Isabelle Macor, il nous est donné de lire enfin l'oeuvre poétique de Zuzanna Ginczanka (1917-1944), reconnue par les plus grands de son temps (Gombrowicz, Tuwim, et bien d'autres) comme une poète au génie précoce.
Ce livre important en nombre de poèmes (110) se veut aussi un hommage à Zuzanna Ginczanka, et rend compte de l'évolution et de la diversité de son oeuvre, composée sur seulement dix années, tragiquement interrompue : elle meurt assassinée à l'âge de 27 ans en 1944 dans la banlieue de Cracovie après avoir été arrêtée par la gestapo une seconde fois.
Ainsi ce livre démarre-t-il avec son premier poème connu (« Banquet estival », écrit alors qu'elle était encore lycéenne en 1931) pour se poursuivre chronologiquement jusqu'à son dernier, « Non omnis moriar », où elle nommait expressément ces dénonciateurs à Lvov (actuellement Lviv, en Ukraine) où elle fut arrêtée une première fois, avant de l'être à nouveau à Cracovie et ne plus revenir.
Ce, en passant par une variété de poèmes relevant de la parabole, de la satire, de l'observation du monde et de la vie humaine saisie dans son regard..., selon un gai savoir grammatical où s'affirme librement sa féminité (fait remarquable), et où la nature abonde, cependant que, avec le pressentiment d'une catastrophe imminente, l'inquiétude s'installe. (Ainsi, dès 1934, un poème comme « Agonie » ne laisse aucun doute sur sa lucidité politique dans une Europe « secouée d'une toux / aux rythmes soldatesques ».) Les Centaures fut précisément le seul recueil de Zuzanna Ginczanka publié de son vivant, les autres poèmes étant quant à eux parus en revue ou dans la presse. Et elle n'aura eu guère le temps d'en composer un autre.
Ce livre en édition bilingue comprend également, pour une plus grande appréciation, des documents (photographies, reproductions de manuscrits, etc.), des notes, et (au moins) une postface de la traductrice.
Nous sommes plusieurs à vouloir que ressurgisse une telle voix des décombres de l'extermination. En Pologne, elle revit déjà plus particulièrement depuis 20 ans. Des ouvrages importants sur sa vie et son oeuvre y sont encore tout récemment parus. Et plus proche de nous, en France, un film documentaire lui a été consacré : Tout de moi ne disparaîtra pas (2022) de Joanna Grudzinska. -
édition bilingue (français / chinois) Gu Cheng 1956-1993), formé à la poésie par son père en cachette, se déclare exclusivement poète à 19 ans, le 5 avril 1976, alors qu'il est lui-même victime de la répression sanglante des manifestations interdites contre le régime et le parti communiste chinois. À la détente du régime, Gu Cheng lit tout ce qu'il peut (littérature, philosophie, théologie, politique, cours d'électricité, de menuiserie, ouvrages chinois et traductions de toutes les langues possibles). On retrouve dans « Le Dossier Bulin » cette soif d'embrasser l'univers. Gu Cheng rapporta que les premiers poèmes de ce recueil, critique à peine voilée du régime et du parti (« Les araignées tiennent séance / c'est un bal périlleux, dans les airs / la musique n'est pas belle non plus »), ont été écrit par son double, son « daemon », Bulin, qu'il connaissait depuis l'enfance, mais qui prit possession de lui en juin 1981 pour écrire précisément ce texte. De fait, le style de ce recueil ne ressemble en rien à ce qu'il avait écrit jusqu'alors. Selon le poète, « Le Dossier Bulin » appartient du point de vue du style et du contenu au réalisme magique. Mais l'on songe aussi, par son extravagance à un Jarry et son monde pataphysique. Citation de Gu Cheng à propos de Bulin (mars 1983) : « Bulin est un personnage à la Sun Wukong, à la Don Quichotte, qui a provoqué une grande agitation dans mon esprit lorsque j'étais très petit. Il ne se conformait à aucune règle, faisait l'école buissonnière et je l'ai trouvé intéressant. Je pensais souvent à lui, avais rédigé et compilé son histoire, et ai même été jusqu'à l'écrire en chinois classique puis à y ajouter des illustrations. [...] Puis le temps passa jusqu'à un midi de juin 1981 où je me réveillai brusquement : dans mes rêves s'était produite une fission, Bulin était partout, et avec lui son monde extraordinaire. J'étais comme exalté, mes mains obéissaient totalement à l'inspiration, mon stylo courait sur le papier. C'était comme si je me consumais, comme si je renaissais, en un instant j'abandonnai le style lyrique sur lequel j'avais oeuvré laborieusement. J'écrivis d'un trait cinq des poèmes de Bulin, puis une dizaine d'autres plus tard, je réalisais une expérience qui renouvelait mon moi. »
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Gu Cheng, contes illustrés de l'île aux eaux tumultueuses
Cheng Gu, Y. Varc'H Thorel
- La Barque
- 13 Janvier 2023
- 9782917504635
Ce livre est le plus tardif de Gu Cheng, poète chinois des plus inventifs, extrêmes, surprenants et doués de la seconde moitié du xxe siècle. D'un genre difficile à définir, ce livre mêle la comptine, le conte philosophique taoïste, la gatha zen, le pamphlet et des dessins improvisés au stylo réalisés en 1990, le tout en un maelström poétique inédit en sa forme. Il est à noter que lorsqu'il était en proie à une forte émotion et à la colère, Gu Cheng n'écrivait pas mais se consacrait à d'autres arts, dont le dessin. Chaque vers, chaque texte est d'une concision extrême. Le rythme est celui, rapide, des textes anciens. Le ton en est enfantin, drôle, libre. Il s'agit d'amuser bien qu'ils témoignent des tragédies qui se jouent alors : son amour avec Xie Ye, la faim et la nourriture, la pauvreté, la lutte organique entre l'esprit et la matière...
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Extrait de son livre Sheepfold Hill, sous-titré Fifteen Poems by Conrad Aiken, « Le Cristal » (1958) est un long poème magistral dans lequel Aiken déploie tout son art.
C'est un poème de maturité, fraternel, en dialogue avec l'illustre Pythagore de Samos (vie siècle av. J.-C.), où l'âge du poète alors âgé de 69 ans à sa parution transparaît dans ses questionnements.
Aiken y évoque des moments de la vie du grand philosophe, homme d'état, et mathématicien à qui il s'adresse - fait retenu : Pythagore fut, terme d'actualité, un migrant ( Pythagore quitta en effet Samos à l'âge de 18 ans et n'y revint que vers l'âge de cinquante ans).
Comme Aiken le précise en fin d'ouvrage, dans une note présente en ces pages, il avait en tête depuis longtemps d'écrire ce poème, la découverte d'articles parus successivement aux mois d'août et septembre 1956 a contribué à son aboutissement.
Chapitré, d'une ampleur certaine, ce poème est à lui seul « un livre »...
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Restitution «d'un univers englouti dans le silence », chacun de ces dialogues a donc eu lieu au musée du Louvre, « sur le même fond de signifiance ». Pour autant, il ne s'agit pas d'un livre d'entretiens stricto sensu, mais, rappelant le Dante de Mandelstam, d'une approche mêlant l'entretien lui-même à l'essai. Ainsi le témoignage côtoie-t-il l'interprétation ou le commentaire, comme le passé le présent... Façon pour l'auteur d'une monographie importante de Matisse, fruit d'un travail de longue durée, de poursuivre avec ce livre de dialogues son entretien intérieur, comme on le dirait d'une expérience intérieure, avec l'art.
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Ce livre en édition bilingue propose la première traduction en français des deux recueils complets, à partir de la langue d'origine (l'afrikaans), d'un auteur grandement célébré dans son pays, enseigné dans les classes, étudié à l'université, etc. Elle a déjà connu de nombreuses traductions, notamment en anglais, en allemand, en néerlandais, en zulu, en polonais, ou encore en turc et un film lui a été consacré en 2011, Black butterflies. Depuis 1965, le Ingrid Jonker Prize couronne chaque année le meilleur premier ouvrage de poésie sud-africaine en afrikaans ou en anglais.
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Cet ouvrage de Ryûichi Tamura (1923-1998), Le monde sans les mots, se composant des 4 premiers livres du grand poète japonais (de l'après-guerre à 1967), présente pour la première fois en France son travail. Cela sur une période suffisamment étendue (de 1956 à 1967) pour donner au lecteur francophone la possibilité de prendre la mesure de son importance, cela parmi les poètes les plus représentatifs de la seconde moitié du xxe siècle, suite à la publication à La Barque des poèmes d'Ayukawa Nobuo écrits durant la décennie 1945-1955.
Il donnera également l'opportunité d'approfondir les connaissances sur l'activité des poètes de l'école Arechi et de ce qu'ils appelèrent de manière idiomatique l'« expérience de la guerre » (sensô taiken) qui les porta à assumer après-guerre des positionnements éthiques.
La recherche d'un sens non dénaturé et d'une légitimité de la parole poétique est en effet le pivot de la poésie de Ryûichi Tamura. Chez lui le langage se trouve interrogé et conduit par une recherche du sens en deçà du sens (ce dernier imposé par l'idéologie, notamment de l'après-guerre).
Le poète s'est alors tourné vers le monde des créatures, de l'animalité, des végétaux et de la minéralité, pour tenter de rétablir une vision du monde qui ne soit pas déformée par l'arbitraire du langage. Dans l'histoire de la poésie contemporaine japonaise ce travail de mise en abîme du langage dans le texte poétique est sans précédent.
Pour Tamura, qui réalise ici un véritable tour de force en faisant vivre un « monde sans mots » en « utilisant les mots », la poésie n'était autre que « le produit du silence ».
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Ce quatrième ouvrage à La Barque d'Ossip Mandelstam traduit par Christian Mouze démontrera de lui-même l'amitié entre un auteur et son traducteur. Et c'est bien une chance pour le lecteur qui le découvrira puisque lui aussi se retrouvera en amitié avec le grand Mandelstam. Lui-même en amitié avec Dante. Le ton y est juste, rigoureux et audacieux tel Mandelstam lui-même.
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Après « Neige silencieuse, neige secrète » (1933) parue en mai 2014, La Barque publie avec ce livre deux proses de Conrad Aiken (1889-1973). L'une de 1925, dans la lignée de « Neige silencieuse, neige secrète » : « Étrange Clair de lune » ; l'autre de 1927 : « État d'esprit », quelque peu différente et où en quelques pages l'auteur américain nous subjugue par son art du mine de rien. Deux joyaux, d'une grande délicatesse et intelligence.
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Splendide livre de pensées - qui plus est unique recueil d'aphorismes de l'écrivain -, d'abord divulgué dans diverses revues en 1911 avant de ne paraître dans sa totalité pour la première fois en Italie seulement en 1981, Barques renversées de Federigo Tozzi est à compter, malgré sa singularité indéfectible, parmi les plus importants du genre (l'on songe à Nietzsche auquel Tozzi ne devait pas être étranger, à Pascal, et même, plus proche de nous, à Henri Michaux et son fameux Poteau d'angle).
Cet ouvrage échelonne, en trois parties, tour à tour considérations, voeux, adresses, et même chants, chaque fois introduits par un mot, moyen par lequel Tozzi, par l'écriture, parvient à décrire « un état spécial de notre âme », ce, jusqu'à une conclusion finale qui n'est pas fin en soi mais bien précisément retour au silence.
À ce jour toujours inédit en français, la parution de ce livre constitue alors un événement considérable. (O. G.)
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On ose à peine présenter Tonino Guerra, poète, avant tout poète, dramaturge, artiste, et bien sûr scénariste de F. Fellini, de M. Antonioni, ainsi que de T. Angelopoulos, de De Sica, de De Santis, des frères Taviani, de F. Rosi, sans oublier d'A. Tarkoski qu'il accueillit en Italie et avec lequel il collabora à son film Nostalghia (1983)...
Paru en Italie en 1997, alors que Tonino Guerra était âgé de 77 ans, Il pleut sur le déluge se présente comme un Journal tenu à l'écart, en Émile-Romagne, durant les douze mois d'une année. Véritable calendrier de l'âme, ce livre paru en est écrit au fil des sensations cueillies au passage des saisons, empli d'épiphanies et de visions tissées dans les souvenirs. Çà et là, des poèmes en dialecte romagnol surgissent, concentrés d'impressions et d'échos d'une vie paysanne.
On trouvera en ces pages des portraits d'artistes russes et italiens dessinés avec une grande humanité, des excursions dans de petits villages romagnols... un voyage intérieur merveilleux et touchant, sans réelle frontière entre passé et présent, rêve et réalité.
Roberto Roversi, poète et critique italien, le qualifie à juste titre de livre de méditations et de chant. «Il appartient à ce genre de livre auxquels - après les avoir lus - on doit dire merci.» Précisons que ce livre comporte des dessins de l'auteur.
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Haïkus for a season / per una stagione / pour une saison
Andrea Zanzotto
- La Barque
- 22 Octobre 2021
- 9782917504512
Tout d'abord, cette publication s'inscrit dans un esemble prévoyant la publication de quatre ouvrages du grand poète italien Andrea Zanzotto («Le Galaté au bois», «Haïku for a season / per una stagione/ pour une saison», deux courtes proses-essais, «Tentatives d'expérience poétique» & «Vers, dans le paysage [Corot]»). L'ensemble de ces quatre livres de nature variée pourra permettre au lectorat français d'en découvrir ou redécouvrir, et d'en apprécier les différentes facettes. Chacun d'eux est donné à lire par son historique traducteur, Philippe Di Meo, lequel, toujours dans le cadre de ce projet, signerait un cinquième livre, un essai sur l'oeuvre de Zanzotto cette fois, sous le titre provisoire «Du futur antérieur à la généalogie».
Ce projet s'inscrit en rapport à l'événement qui aura lieu en octobre 2021 où seront «célébrés» l'anniversaire de sa naissance (le 10 octobre 1921) et celui de sa mort (le 18 octobre 2011).
Les trois ouvrages à paraître en ce mois d'octobre 2021 seraient «Le Galaté au bois», «Haïku for a season / per una stagione/ Haïkus pour une saison» & «Vers, dans le paysage [Corot]».
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Ce livre en tête-bêche réunit deux pièces de Tarjei Vesaas : Ultimatum & Pluie dans les cheveux.
Le théâtre de Tarjei Vesaas est demeuré jusqu'à ce jour inconnu en France et reste peu connu dans le pays d'origine de son auteur, la Norvège. Pourtant Tarjei Vesaas était attaché à cette forme où le dialogue soutient seul ou presque l'édifice de la narration.
Ultimatum, ici dans sa version de 1963, fut d'abord écrite en 1932, alors que Tarjei Vesaas se trouvait à Strasbourg. Il s'agit d'une pièce éminemment politique (lucide, Vesaas savait ce qui alors naissait en Allemagne) où de jeunes gens sont suspendus à l'ultimatum d'une déclaration de guerre. Cette pièce de Tarjei Vesaas est inédite en français, ainsi que dans cette seconde version en Norvège.
Il en de même de Pluie dans les cheveux, quant à elle de 1958, l'une et l'autre pièces paraissant donc pour la toute première fois (une première mondiale pourrait-on dire). Pluie dans les cheveux raconte la naissance de l'amour et du désir chez de jeunes adolescents. Ces deux pièces s'opposent par leur thème, Ultimatum s'imposant comme le coup d'arrêt porté à l'amour naissant de Pluie dans les cheveux (Ce basculement, ce renversement dans le cours de l'histoire, justifie le tête-bêche du livre.) Oeuvre traduite du nynorsk (néo-norvégien) par Marina Heide, Guri Vesaas et Olivier Gallon.