«Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l'intelligence, et même le génie, c'est l'incompréhension.» En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d'hommes et de femmes, tous passagers d'un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n'imaginait à quel point c'était vrai.
Roman virtuose où la logique rencontre le magique, L'anomalie explore cette part de nous-mêmes qui nous échappe.
« Année après année, Mathilde revint à la charge. Chaque été, quand soufflait le chergui et que la chaleur, écrasante, lui portait sur les nerfs, elle lançait cette idée de piscine qui révulsait son époux. Ils ne faisaient aucun mal, ils avaient bien le droit de profiter de la vie, eux qui avaient sacrifié leurs plus belles années à la guerre puis à l'exploitation de cette ferme. Elle voulait cette piscine, elle la voulait en compensation de ses sacrifices, de sa solitude, de sa jeunesse perdue. » 1968 : à force de ténacité, Amine a fait de son domaine aride une entreprise florissante. Il appartient désormais à une nouvelle bourgeoisie qui prospère, fait la fête et croit en des lendemains heureux. Mais le Maroc indépendant peine à fonder son identité nouvelle, déchiré entre les archaïsmes et les tentations illusoires de la modernité occidentale, entre l'obsession de l'image et les plaies de la honte. C'est dans cette période trouble, entre hédonisme et répression, qu'une nouvelle génération va devoir faire des choix. Regardez-nous danser poursuit et enrichit une fresque familiale vibrante d'émotions, incarnée dans des figures inoubliables.
Parmi les manuscrits de Louis-Ferdinand Céline récemment retrouvés figurait une liasse de deux cent cinquante feuillets révélant un roman dont l'action se situe dans les Flandres durant la Grande Guerre. Avec la transcription de ce manuscrit de premier jet, écrit quelque deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit (1932), une pièce capitale de l'oeuvre de l'écrivain est mise au jour. Car Céline, entre récit autobiographique et oeuvre d'imagination, y lève le voile sur l'expérience centrale de son existence : le traumatisme physique et moral du front, dans l'« abattoir international en folie ». On y suit la convalescence du brigadier Ferdinand depuis le moment où, gravement blessé, il reprend conscience sur le champ de bataille jusqu'à son départ pour Londres. À l'hôpital de Peurdu-sur-la-lys, objet de toutes les attentions d'une infirmière entreprenante, Ferdinand, s'étant lié d'amitié au souteneur Bébert, trompe la mort et s'affranchit du destin qui lui était jusqu'alors promis. Ce temps brutal de la désillusion et de la prise de conscience, que l'auteur n'avait jamais abordé sous la forme d'un récit littéraire autonome, apparaît ici dans sa lumière la plus crue. Vingt ans après 14, le passé, « toujours saoul d'oubli », prend des « petites mélodies en route qu'on lui demandait pas ». Mais il reste vivant, à jamais inoubliable, et Guerre en témoigne tout autant que la suite de l'oeuvre de Céline.
En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la «fille scandaleuse» de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture.Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, s'éprend d'Amine Belhaj, un Marocain combattant dans l'armée française. Après la Libération, elle quitte son pays pour suivre au Maroc celui qui va devenir son mari. Le couple s'installe à Meknès, ville de garnison et de colons, où le système de ségrégation coloniale s'applique avec rigueur. Amine récupère ses terres, rocailleuses ingrates et commence alors une période très dure pour la famille. Mathilde accouche de deux enfants : Aïcha et Sélim. Au prix de nombreux sacrifices et vexations, Amine parvient à organiser son domaine, en s'alliant avec un médecin hongrois, Dragan Palosi, qui va devenir un ami très proche.Mathilde se sent étouffée par le climat rigoriste du Maroc, par sa solitude à la ferme, par la méfiance qu'elle inspire en tant qu'étrangère et par le manque d'argent. Les relations entre les colons et les indigènes sont très tendues, et Amine se trouve pris entre deux feux : marié à une Française, propriétaire terrien employant des ouvriers marocains, il est assimilé aux colons par les autochtones, et méprisé et humilié par les Français parce qu'il est marocain. Il est fier de sa femme, de son courage, de sa beauté particulière, de son fort tempérament, mais il en a honte aussi car elle ne fait pas preuve de la modestie ni de la soumission convenables. Aïcha grandit dans ce climat de violence, suivant l'éducation que lui prodiguent les Soeurs à Meknès, où elle fréquente des fillettes françaises issues de familles riches qui l'humilient. Selma, la soeur d'Amine, nourrit des rêves de liberté sans cesse brimés par les hommes qui l'entourent. Alors qu'Amine commence à récolter les fruits de son travail harassant, des émeutes éclatent, les plantations sont incendiées : le roman se clôt sur des scènes de violence inaugurant l'accès du pays à l'indépendance en 1956.Inspiré par l'histoire de la grand-mère de Leïla Slimani, le récit est à la fois dense et haletant. Les nombreux personnages sont peints avec une finesse remarquable. Tous vivent dans « le pays des autres » : les colons comme les indigènes, les soldats comme les paysans ou les exilés. Les femmes vivent dans le pays des hommes et doivent sans cesse lutter pour leur émancipation. Tous sont déchirés entre des traditions immuables et le désir de modernité. L'accession du Maroc à l'indépendance est vue à travers ces destins attachants. La réalité ambiguë de la colonisation est parfaitement disséquée, comme celle de la condition féminine, sans manichéisme. Après deux romans au style clinique et acéré, Leïla Slimani se révèle une romancière de grande amplitude, capable de faire vivre une époque et ses acteurs avec humanité, justesse, et un sens très subtil de la narration. Un roman magnifique.
Laurence Barraqué est née en 1959 dans une famille de la petite bourgeoisie de Rouen. Son père est médecin et sa mère femme au foyer. Très tôt elle comprend, à travers le langage et l'éducation de ses parents, que la position des filles est inférieure à celles des garçons. Cette expérience se prolonge à l'école, au cours de danse, à la bibliothèque municipale, partout où le langage impose la position dominante du genre masculin : « Garce. Le mot revient et la hante. C'est une injure. Mais n'est-ce pas d'abord le féminin de garçon ? Tout ce qui est féminin déçoit, déchoit, elle le sait désormais. Garçon, c'est un constat. Garce, c'est un jugement. Le mot, en changeant de genre, devient mauvais. Mais il a des pouvoirs. » Dans ce roman d'une puissance exceptionnelle, Camille Laurens déploie le destin d'une femme confrontée aux mutations de la société française de ces quarante dernières années. La narratrice emporte dans sa voix les grandes problématiques de l'éducation des femmes, de la domination masculine et de la transmission des valeurs féministes aux jeunes générations. Le parcours de Laurence Barraqué se fait la chambre d'échos de toutes celles qui furent élevées dans l'idée d'une supériorité des hommes. L'auteur saisit avec acuité les moments charnières de l'enfance au cours desquels se joue l'adulte que l'on va devenir. L'écriture de Camille Laurens atteint ici une maitrise remarquable, qui restitue les grandes embardées de la vie tout en faisant résonner la petite musique des mots.
En 1939, Jun est étudiant au Conservatoire de Paris. Mais le conflit sino-japonais le contraint à rentrer au Japon. En quittant la France, il laisse derrière lui son grand amour, sa «reine de coeur», la jeune Anna. L'épreuve de la guerre sera d'une violence monstrueuse.Des années plus tard, Mizuné, une jeune altiste parisienne, découvre un roman qui lui rappelle étrangement le parcours de ses grands-parents, Jun et Anna, qu'elle n'a jamais connus. Bouleversée par la guerre et la folie des hommes, leur histoire d'amour, si intimement liée à la musique, pourrait bien trouver un prolongement inattendu.Le passé récent du Japon et les atrocités commises au nom de la grandeur nationale, la musique vécue comme ce que l'humanité porte en elle de meilleur, la transmission du passé malgré les silences familiaux, l'amour de la langue française:dans ce roman à la fois émouvant et captivant, Akira Mizubayashi continue d'explorer les thèmes qui lui sont chers.
Lola vit en Bretagne au-dessus du bureau de poste où elle travaille. Elle est jolie, sage et boiteuse. Elle ne désire rien et se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de son potager et, dans sa chambre, face au grand lit où elle s'interdit de rêver, trône une armoire de noces pleine des coeurs de ses ancêtres. Dans la région d'Espagne où sont nées ses aïeules, quand une femme sent la mort venir, elle brode un coussin en forme de coeur qu'elle bourre de bouts de papier sur lesquels sont écrits ses secrets... À sa mort, sa fille ainée en hérite avec l'interdiction absolue de l'ouvrir. Des coeurs de femmes battent dans la vieille armoire de Lola. Ils racontent une histoire qui a commencé en Andalousie, il y a plus d'un siècle. Lola se demande si elle est faite de cette histoire familiale qu'elle ignore, si le sang des fables coule de génération en génération, s'il l'irrigue de terreurs et de peines qui ne lui appartiennent pas, mais agitent ses profondeurs. Sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés ? Il faudrait ouvrir ces coeurs pour le savoir... Un jour, l'un des coeurs éclate, libérant les secrets de son aïeule Inès Dolorès, ainsi qu'un plus petit coeur rempli de graines, d'où naîtront des roses au parfum envoûtant qui envahiront le jardin. Saura-t-elle se laisser porter par son désir, s'affranchir de la voix de son père qui lui a prédit un destin de solitude ? Carole Martinez, formidable conteuse, habite ses récits comme personne. Elle libère ses personnages, morts et vivants, et nous embarque à leur suite dans un monde épineux et baroque où le merveilleux côtoie le réel et où poussent des roses fauves.
En 1999 débutait le casting pour trouver le jeune garçon qui allait interpréter Harry Potter et qui, par la même occasion, deviendrait mondialement célèbre.
Des centaines d'acteurs furent auditionnés. Finalement, il n'en resta plus que deux. Ce roman raconte l'histoire de celui qui n'a pas été choisi.
T- Bardamu, qu'il me fait alors gravement et un peu triste, nos pcres nous valaient bien, n'en dis pas de mal !...
- T'as raison, Arthur, pour ça t'as raison ! Haineux et dociles, violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous valaient bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d'opinions, ou bien si tard, que ça n'en vaut plus la peine. On est nés fidcles, on en crcve nous autres ! Soldats gratuits, héros pour tout le monde et singes parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons du Roi Miscre. C'est lui qui nous posscde ! Quand on est pas sage, il serre... On a ses doigts autour du cou, toujours, ça gene pour parler, faut faire bien attention si on tient ´r pouvoir manger... Pour des riens, il vous étrangle... C'est pas une vie...
- Il y a l'amour, Bardamu !
- Arthur, l'amour c'est l'infini mis ´r la portée des caniches et j'ai ma dignité moi ! que je lui réponds.t
Mai 2016. La juge Alma Revel doit se prononcer sur le sort d'un jeune homme suspecté d'avoir rejoint l'État islamique en Syrie. À ce dilemme professionnel s'en ajoute un autre, plus intime : mariée, Alma entretient une liaison avec l'avocat qui représente le mis en examen. Entre raison et déraison, ses choix risquent de bouleverser sa vie et celle du pays...
Karine Tuil nous entraîne dans le quotidien de juges d'instruction antiterroristes, au coeur de l'âme humaine, dont les replis les plus sombres n'empêchent ni l'espoir ni la beauté.
Issu de la classe moyenne et diplômé de Sciences Po, Dimitri a 27 ans. Il est reporter à l'AFP lorsqu'il se lance dans une longue enquête sur la naissance d'Internet : contrairement aux idées reçues, le système de transmission de données qui est à la base de la révolution numérique a été développé de manière déterminante par l'ingénieur français Louis Pouzin, jeune homme de 84 ans que Dimitri rencontre et interviewe. Cet entretien lui dévoile que, dès 1973, les recherches menées au sein de son laboratoire ont été entravées, puis suspendues par les pouvoirs publics - Valéry Giscard d'Estaing en dernière instance - sous la pression du puissant industriel et lobbyiste Ambroise Roux. C'est sur lui que Dimitri oriente alors son enquête, mettant au jour une « certaine France ». Jeux d'influences, intérêts privés, corporatisme, rejet de ces nouveaux venus que sont les informaticiens : les Français font le choix de s'engager dans la voie du Minitel, une somptueuse impasse, alors que les Américains, en s'accaparant l'invention de Louis Pouzin abandonnée par notre beau pays, s'emparent du leadership mondial de la création d'Internet. Fasciné par les arcanes du réel, Dimitri se rêve aussi romancier (il a un projet de livre sur Max Ernst et Jackson Pollock, ou plus précisément sur le déplacement de l'épicentre artistique mondial de Paris à New York à partir d'une après-midi fantasmée, celle du 23 juin 1942), et vagabonde de ville en ville à la recherche d'instants qu'il voudrait décisifs. Il multiplie les rencontres, y compris amoureuses, avec des filles comme avec des garçons : une manière comme une autre, cette fougue, sa colère chevillée au corps, de poursuivre sa vie, ou une idée qu'il se fait d'elle, une course qui anime le désir et déjoue la mélancolie. Et c'est justement par sa richesse et sa complexité, voire ses contradictions, que Dimitri est une figure révélatrice de cette génération dont il nous dévoile la saveur et les conflits.
Tanger, au début des années 2000. Un pédophile abuse de jeunes filles en leur faisant miroiter la publication de leurs poèmes dans son journal. Il agit en toute impunité, sans éveiller le moindre soupçon.
Ce roman raconte l'histoire d'une de ses victimes, Samia, une jeune fille de seize ans. Elle ne se confie pas à ses parents, mais consigne tout dans son journal intime, qu'ils découvriront bien après son suicide.
À partir de cette tragédie, les parents de Samia basculent dans un désordre qui révélera leurs lâchetés et leurs travers. Le père, homme intègre, rejoint la cohorte des corrompus. Ensemble, ils s'abîment dans une détestation mutuelle aussi profonde que leur chagrin.
La lumière viendra d'un jeune immigré africain, Viad. Avec douceur et bienveillance, il prendra soin de ce couple moribond. Viad panse les plaies et ramène le souffle de la vie dans la maison. Le pauvre n'est pas celui qu'on croit. Et le miel peut alors venir adoucir l'amertume de ceux qui ont été floués par le destin.
Février 1932. Jacques-Marie Bauer, libraire spécialisé en ouvrages de bibliophilie, s'embarque à Marseille sur le Georges Philippar, un paquebot flambant neuf en route vers le Japon. Nouant des liens avec les autres passagers - le commandant Pressagny et sa petite-fille, l'assureur Hercule Martin, le pianiste russe Sokolowski, ou encore la séduisante Anaïs Modet-Delacourt -, il demeure mystérieux sur le motif de son voyage. Lorsque entrent en scène des Allemands, des camps ennemis se forment au sein de cette petite société cosmopolite:l'ascension d'Hitler divise l'assemblée. Aux sombres rumeurs du monde fait écho, sur le bateau, une suite d'avaries techniques inquiétantes...À travers l'histoire épique et dramatique de cette croisière pendant laquelle le grand reporter Albert Londres trouva la mort, c'est le naufrage de l'Europe que Pierre Assouline retrace en un tableau saisissant.
«Les mots français que j'entends ma mère prononcer le plus souvent sont cholestérol et contrariété. Je m'étonne qu'une femme ayant tant de mal à amadouer sa langue d'adoption puisse connaître deux termes selon moi si savants. Contrariété l'emporte de loin. Elle finit par se l'approprier comme s'il la débarrassait du devoir d'aller mieux, et qu'une fois prononcé, rien ne l'obligeait à développer, tout était dit, contrariété.Les soirs où l'affrontement avec son mari devient inévitable, elle assène le mot ruine, en italien, c'est la note la plus aiguë de son lamento, la rouiiiina, dont le sens est sans équivoque:c'est l'émigration, le départ maudit, la faute originelle, la source de tous ses maux, la contrariété suprême.»En 1954, la famille Benacquista quitte l'Italie pour s'installer en banlieue parisienne. Les parents, Cesare et Elena, connaîtront le sort des déracinés. Dans ce bouleversant récit des origines, leur petit dernier, Tonino, restitue avec fantaisie cette geste. Il raconte aussi les batailles qui ont jalonné sa conquête de la langue française.Avec Porca miseria, Tonino Benacquista trace la lumineuse trajectoire d'un autodidacte que l'écriture a sauvé des affres du réel.
« La nuit, l'animal me regarde et je lis dans ses yeux de nobles histoires, des chants qui m'invitent au voyage. » À travers les vingt-deux chants qui composent ces Cantiques du corbeau, Bartabas offre un récit fantasmatique des origines de l'humanité. Dans une préhistoire rêvée, où hommes et bêtes ne font qu'un et sont tour à tour proies et prédateurs, on voit l'homme acquérir les facultés qui le conduiront à asservir la terre et le règne animal.
Une superbe méditation poétique sur la place de l'homme parmi les vivants.
«Pour la première fois depuis quinze ans, le nom de cette femme lui occupait l'esprit, et ce nom entraînerait à sa suite, certainement, le souvenir d'autres personnes qu'il avait vues autour d'elle, dans la maison de la rue du Docteur-Kurzenne. Jusque-là, sa mémoire concernant ces personnes avait traversé une longue période d'hibernation, mais voilà, c'était fini, les fantômes ne craignaient pas de réapparaître au grand jour. Qui sait? Dans les années suivantes, ils se rappelleraient encore à son bon souvenir, à la manière des maîtres chanteurs. Et, ne pouvant revivre le passé pour le corriger, le meilleur moyen de les rendre définitivement inoffensifs et de les tenir à distance, ce serait de les métamorphoser en personnages de roman.»
«Tout homme, toute femme, qui assigne une fin à l'amour, n'aime pas. Tout être humain ou animal qui fixe un but à l'amour, n'aime pas. Qui impose un contenu, n'aime pas. Qui rêve un foyer, une maison, un enfant, de l'or, une récompense, n'aime pas. Qui court après la réputation, l'ascendant social, le cheval, la voiture, l'honneur, n'aime pas. Qui vise le champion du tournoi, l'intégrité religieuse, la propreté, la délicatesse de la nourriture, l'ordre du lieu, le soin du jardin, n'aime pas. Celui qui prétend s'introduire dans un groupe auquel il n'appartient pas, ne serait-ce qu'atteindre les objectifs les plus sûrs - la mère dans l'homme, le grand-père maternel dans la femme -, n'aime pas. Celui qui recherche la culture, la virtuosité, le courage, l'expérience, la fierté, le savoir, n'aime pas. Dans l'étreinte Dieu et Je sont morts.»
1968, palais du Potala au Tibet. L'ancienne demeure du Dalaï-lama est occupée, depuis l'exil en Inde du chef spirituel, par une petite troupe de très jeunes gardes rouges fanatisés, étudiants des BeauxArts dirigés par un garçon particulièrement cruel, surnommé « le Loup ». Bstan Pa, ancien peintre du Dalaï-lama, est retenu prisonnier dans les anciennes écuries du palais. Il est repéré par le Loup qui veut lui faire avouer ses crimes contre-révolutionnaires. Les jeunes Gardes Rouges ont découvert dans les tankas sacrés qu'il a peints, une preuve de la nature dépravée du Dalaï-lama et de ses adeptes. Alors qu'ils s'acharnent à détruire toute trace de beauté, profanent les objets sacrés et les plus hautes oeuvres d'art bouddhique, le vieux peintre se remémore une existence dédiée à la peinture sacrée. Il se souvient de son apprentissage auprès de son maître, des échelons gravis grâce à son talent exceptionnel jusqu'à approcher les plus hautes autorités religieuses, et participer à la recherche du nouveau tulkou, l'enfant appelé à succéder au défunt Dalaï-lama. Cette quête s'est fondée sur une vision qu'a eue, en présence de Bstan Pa, le Régent responsable de la recherche de l'enfant élu. En transes, il voyait une maison au toit bleu, un arbre auquel un cheval était attaché, un paysage très détaillé... Bstan Pa, au fur et à mesure, a peint sur une toile les éléments de la vision. Munis de ce document précieux, les deux hommes sont partis à travers montagnes et vallées pour retrouver la maison de l'enfant destiné à devenir le quatorzième Dalaï-lama. Tandis que le Loup torture le vieux peintre, les souvenirs sublimes affluent, de plus en plus puissants. Que peut la violence des hommes contre la beauté ? Dai Sijie nous fait pénétrer dans un univers d'harmonie et de méditation, nourri par l'évocation d'une tradition séculaire, très raffinée, que l'écrivain connaît à la perfection. Les passages sur la peinture, sur les couleurs, sur l'art tibétain qui met en communication le monde sensible et celui de l'esprit sont souvent extraordinaires, d'une sensualité étonnante. Ce nouveau roman de l'auteur de Balzac et la petite tailleuse chinoise procure un sentiment de dépaysement absolu dans l'espace et dans le temps.
On l'appelait le « mage du Kremlin ». L'énigmatique Vadim Baranov fut metteur en scène puis producteur d'émissions de télé-réalité avant de devenir l'éminence grise de Poutine, dit le Tsar. Après sa démission du poste de conseiller politique, les légendes sur son compte se multiplient, sans que nul puisse démêler le faux du vrai. Jusqu'à ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre...
Ce récit nous plonge au coeur du pouvoir russe, où courtisans et oligarques se livrent une guerre de tous les instants. Et où Vadim, devenu le principal spin doctor du régime, transforme un pays entier en un théâtre politique, où il n'est d'autre réalité que l'accomplissement des souhaits du Tsar. Mais Vadim n'est pas un ambitieux comme les autres : entraîné dans les arcanes de plus en plus sombres du système qu'il a contribué à construire, ce poète égaré parmi les loups fera tout pour s'en sortir.
De la guerre en Tchétchénie à la crise ukrainienne, en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, Le mage du Kremlin est le grand roman de la Russie contemporaine. Dévoilant les dessous de l'ère Poutine, il offre une sublime méditation sur le pouvoir.
«Le monde est une fiction terrible et fabuleuse que les humains se racontent.»R. J.
« Rémy et Laure partageaient le sommet de Croisse-Baulet et, si modeste qu'il fût, il faisait pour eux de cet instant un moment inoubliable.
Rémy connaissait trop la force de cette communion pour y mêler les gestes minuscules de l'amour. Il sentait que son désir était partagé, que cette émotion avait la valeur d'une étreinte et que Laure, pas plus que lui, ne pourrait l'oublier. Tout devait garder son ampleur, sa grâce. Les petites effusions, les maladroites caresses humaines, dans ces décors de lumière, d'espace et de vent, sont dérisoires et même insupportables. Il fallait laisser l'esprit se mouvoir sans contraintes. Le regard était suffisant pour exprimer l'émoi et celui de Laure parlait sans ambiguïté.
Ils retirèrent les peaux de phoque des skis, réglèrent les fixations pour la descente et raccourcirent les bâtons. Puis, sans se hâter, l'esprit plein d'un moment qu'il était inutile de faire durer tant il était saturé d'infini, ils s'élancèrent dans la pente. »
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure », le célèbre incipit est énoncé par un narrateur « je », insomniaque qui se remémore les différentes chambres à coucher de son existence. Il évoque ainsi les souvenirs de Combray, lieu de villégiature de son enfance...
Ce livre est certes un roman avec une histoire, des personnages, mais c'est aussi un conte philosophique qui dénonce avec humour et férocité l'évolution de notre société. L'action se déroule dans une dizaine d'années, par un été de canicule, et commence à Marseille, au Cercle des Nageurs, avec la rencontre entre Diane, la narratrice, et Antoine Bradsock, le héros d'un « Très Grand amour », un écrivain octogénaire, atteint d'un cancer très grave, qui rêve de finir en « beauté ».Au fil de cet amour qui va durer trente-trois jours, le lecteur découvre un monde martyrisé par un soleil pesant, l'action de sectes de toutes sortes, des règlementations qui limitent toujours plus la liberté d'expression, pendant que, dans les rues, les esprits s'échauffent et les manifestations se multiplient. S'il y a une morale dans ce livre, c'est celle de la citation de Boileau qui se trouve en exergue : « Il faut rire avant d'être heureux, de peur de mourir avant d'avoir ri ».