Effarement et exubérance, enracinement et étrangeté : dans ce nouveau roman, Jhumpa Lahiri pousse l'exploration des thèmes qui sont les siens à leur limite. La femme qui se tient au centre de l'histoire est professeur, elle a quarante ans et pas d'enfants. Elle oscille entre immobilité et mouvement, entre besoin d'appartenance et refus de nouer des liens. La ville italienne qu'elle habite, et qui l'enchante, est sa confidente : les trottoirs autour de chez elle, les parcs, les ponts, les piazzas, les rues, les boutiques, les cafés... Elle a des amies femmes, des amis hommes, et puis il y a "lui", une ombre qui la réconforte et la trouble tout à la fois... Le tour de force de ce beau roman, écrit dans une langue à la fois très simple et précise consiste à faire de cette anti-héroïne spectrale un personnage qui prend progressivement une véritable épaisseur charnelle et fictionnelle, et de ce non-roman une fiction tendue par un suspense transformant ces intrigues dérisoires en matière à un «page turner »d'un genre fantomatique et mystérieux. Premier roman de Jhumpa Lahiri écrit en italien, «Où je suis »brûle du désir de passer les frontières et de forger une nouvelle langue littéraire.
Premier livre conçu et écrit en italien par l'écrivain bengali de langue anglaise Jhumpa Lahiri (Prix Pulitzer 2000), En d'autres mots est le journal d'une passion clandestine pour la langue italienne, qui s'offre à elle autant qu'elle se refuse. Une histoire d'amour et d'initiation qui nous plonge dans les pages limpides de cette traversée linguistique et métamorphique vers une langue étrangère.
Pendant vingt ans, j'ai étudié la langue italienne comme si je nageais le long des contours [d'un] lac. Toujours à côté de ma langue dominante, l'anglais. La longeant toujours. C'était un bon exercice. Bon pour les muscles, pour le cerveau, mais pas vraiment palpitant. En étudiant une langue étrangère de cette façon, on ne peut pas se noyer. L'autre langue est toujours là pour te soutenir, te sauver. Mais on ne peut pas nager sans prendre le risque de se noyer, de couler à pic. Pour connaître une nouvelle langue, pour s'immerger, il faut quitter la rive. Sans bouée de sauvetage. Sans pouvoir compter sur la terre ferme.
J. L.