« Écoutez, mes soeurs !
Écoutez cette rumeur qui emplit la nuit !
Écoutez... le bruit des mères !
Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines. Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recette se côtoient.
Les douleurs muettes de nos mères leur ont bâillonné le coeur. Leurs plaintes sont passées dans les soupes : larmes de lait, de sang, larmes épicées, saveurs salées, sucrées. Onctueuses larmes au palais des hommes ! » Frasquita Carasco a dans son village du sud de l'Espagne une réputation de magicienne, ou de sorcière. Ses dons se transmettent aux vêtements qu'elle coud, aux objets qu'elle brode : les fleurs de tissu créées pour une robe de mariée sont tellement vivantes qu'elles faneront sous le regard jaloux des villageoises ; un éventail reproduit avec une telle perfection les ailes d'un papillon qu'il s'envolera par la fenêtre ; le coeur de soie qu'elle cache sous le vêtement de la Madone menée en procession semble palpiter miraculeusement...
Frasquita a été jouée et perdue par son mari lors d'un combat de coqs. Réprouvée par le village pour cet adultère, la voilà condamnée à l'errance à travers l'Andalousie que les révoltes paysannes mettent à feu et à sang, suivie de ses marmots eux aussi pourvus - ou accablés - de dons surnaturels...
Le roman fait alterner les passages lyriques et les anecdotes cocasses ou cruelles. Le merveilleux ici n'est jamais forcé : il s'inscrit naturellement dans le cycle tragique de la vie.
«Peu après la sortie de mon premier roman, Le coeur cousu, une lectrice m'a raconté une coutume espagnole dont j'ignorais l'existence:dans la sierra andalouse où étaient nées ses aïeules, quand une femme sentait la mort venir, elle brodait un coussin en forme de coeur qu'elle bourrait de bouts de papier sur lesquels étaient écrits ses secrets. À sa mort, sa fille aînée en héritait avec l'interdiction absolue de l'ouvrir. J'ai métamorphosé cette lectrice en personnage.Lola vit seule au-dessus du bureau de poste où elle travaille, elle se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de ses fleurs et, dans sa chambre, trône une armoire de noces pleine des coeurs en tissu des femmes de sa lignée espagnole. Lola se demande si elle est faite de l'histoire familiale que ces coeurs interdits contiennent et dont elle ne sait rien. Sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés?Il faudrait déchirer ces coeurs pour le savoir...»C. M.Carole Martinez, formidable conteuse, libère ses personnages morts et vivants et nous embarque à leur suite dans un monde épineux où le merveilleux côtoie le réel et où poussent des roses fauves.
En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire 'oui' : elle veut faire respecter son voeu de s'offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe...
Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et ce souffle l'entraînera jusqu'en Terre sainte.
Carole Martinez donne ici libre cours à la puissance poétique de son imagination et nous fait vivre une expérience à la fois mystique et charnelle, à la lisière du songe. Elle nous emporte dans son univers si singulier, rêveur et cruel, plein d'une sensualité prenante.
Blanche est morte en 1361 à l'âge de douze ans, mais elle a tant vieilli par-delà la mort! La vieille âme qu'elle est devenue aurait tout oublié de sa courte existence si la petite fille qu'elle a été ne la hantait pas. Vieille âme et petite fille partagent la même tombe et leurs récits alternent. L'enfance se raconte au présent et la vieillesse s'émerveille, s'étonne, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l'y attend. Veut-on l'offrir au diable filou pour que les temps de misère cessent, que les récoltes ne pourrissent plus et que le mal noir qui a emporté sa mère en même temps que la moitié du monde ne revienne jamais? Par la force d'une écriture cruelle, sensuelle et poétique à la fois, Carole Martinez laisse Blanche tisser les orties de son enfance et recoudre son destin.
Nous retrouvons son univers si singulier, où la magie et le songe côtoient la violence et la truculence charnelles, toujours à l'orée du rêve mais deux siècles plus tard, dans ce domaine des Murmures qui était le cadre de son précédent roman.