« Quand la sonnerie a encore retenti, que la porte du box s'est ouverte, c'est le silence de la salle qui est monté vers moi, le silence, et cette singulière sensation que j'ai eue lorsque j'ai constaté que le jeune journaliste avait détourné les yeux. Je n'ai pas regardé du côté de Marie. Je n'en ai pas eu le temps parce que le président m'a dit dans une forme bizarre que j'aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français... »
«- Naturellement, vous savez ce que c'est, Rieux ? - J'attends le résultat des analyses. - Moi, je le sais. Et je n'ai pas besoin d'analyses. J'ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j'ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d'années. Seulement, on n'a pas osé leur donner un nom, sur le moment... Et puis, comme disait un confrère : C'est impossible, tout le monde sait qu'elle a disparu de l'Occident. Oui, tout le monde le savait, sauf les morts. Allons, Rieux, vous savez aussi bien que moi ce que c'est... - Oui, Castel, dit-il, c'est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste.»
«En somme, je vais parler de ceux que j'aimais», écrit Albert Camus dans une note pour Le premier homme. Le projet de ce roman auquel il travaillait au moment de sa mort était ambitieux. Il avait dit un jour que les écrivains «gardent l'espoir de retrouver les secrets d'un art universel qui, à force d'humilité et de maîtrise, ressusciterait enfin les personnages dans leur chair et dans leur durée». Il avait jeté les bases de ce qui serait le récit de l'enfance de son «premier homme». Cette rédaction initiale a un caractère autobiographique qui aurait sûrement disparu dans la version définitive du roman. Mais c'est justement ce côté autobiographique qui est précieux aujourd'hui. Après avoir lu ces pages, on voit apparaître les racines de ce qui fera la personnalité de Camus, sa sensibilité, la genèse de sa pensée, les raisons de son engagement. Pourquoi, toute sa vie, il aura voulu parler au nom de ceux à qui la parole est refusée.
«En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut pas dire, on le verra d'ailleurs, que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J'ai seulement tâché à rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai... La haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable. Raison de plus pour évoquer ces grandes ombres, leur juste révolte, leur fraternité difficile, les efforts démesurés qu'elles firent pour se mettre en accord avec le meurtre - et pour dire ainsi où est notre fidélité.» Albert Camus.
«Je me souviens du moins d'une grande fille magnifique qui avait dansé tout l'après-midi. Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.»
19 novembre 1957Cher Monsieur Germain,J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon coeur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j'ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. (...)Je vous embrasse, de toutes mes forces.Albert CamusAlors qu'il vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Albert Camus écrit à son ancien instituteur à Alger, celui sans qui «rien de tout cela ne serait arrivé», toute sa reconnaissance. L'ensemble de la correspondance entre les deux hommes et un extrait du Premier homme où apparaît le personnage de l'instituteur M. Bernard sont ici réunis. Une édition en forme d'hommage à ce lien magnifique de gratitude et de tendresse.
Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d'une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre, est suivi de sa mise en perspective organisée en six points :
- Mouvement littéraire : Camus et l'absurde.
- Genre et registre : Sous le signe du théâtre.
- L'écrivain à sa table de travail : Écrire et récrire.
- Groupement de textes : Théâtre et complots.
- Chronologie : Albert Camus et son temps.
- Éléments pour une fiche de lecture.
Recommandé pour les classes de lycée.
Rêvant de faire fortune et d'aller vivre au soleil, Martha et sa mère assassinent pour les dépouiller les clients de leur auberge. Le frère de Martha, parti depuis vingt ans et revenu incognito, sera leur dernière victime:quand elles découvrent qui elles ont tué, les deux femmes se suicident. D'un malentendu, Camus a fait le sujet d'une «tragédie moderne». Le malheur y vient moins de l'aveuglement, propres aux tragiques grecs, que d'une éperdue volonté de bonheur soutenue par une énergie capable d'aller au crime. Déjà mise au jour par Le Mythe de Sisyphe, l'absurdité de la condition humaine donne au Malentendu d'étranges résonances, moins proches des tragédies d'Eschyle, parfois, que du théâtre d'Ionesco.
On savait Char et Camus frères en amitié. Les quelque deux cents lettres inédites ici rassemblées l'attestent, qui retracent ce que furent les engagements et les travaux communs des deux hommes après-guerre et leur proximité attentive et réciproque. Mais ce qui donne tout son sens à cette correspondance est ce qui l'a peut-être initiée : la rencontre et la reconnaissance de deux oeuvres en même temps que leur convergence dans une époque de démesure et de déraison. Tout comme «l'envie d'écrire des poèmes ne s'accomplit que dans la mesure précise où ils sont pensés et sentis à travers de très rares compagnons» (Char à Camus), le moment de doute dans l'accomplissement d'une oeuvre ne peut que s'appuyer sur «l'ami, quand il sait et comprend, et qu'il marche lui-même, du même pas» (Camus à Char)... Une façon lumineuse, entre Ventoux et Luberon, de rejoindre l'intuition de Julien Gracq qui, avec l'éloignement du temps, voyait se «rapprocher aussi, dans la signification de leurs oeuvres, deux amis dont les silhouettes pouvaient sembler si différentes».
Édition de Franck Planeille.
Édition augmentée de huit lettres inédites.
Entre le 21 août 1944 et le 3 juin 1947, Albert Camus est rédacteur en chef et éditorialiste à Combat. Ses 165 articles - signés, authentifiés, ou légitimement attribuables - nous transmettent le témoignage lucide d'un journaliste conscient de ses responsabilités dans une époque où, au sortir de l'Occupation, il faut à la fois réorganiser la vie quotidienne et dessiner l'avenir de la France et de l'Europe. Sur de multiples sujets - la politique intérieure ; l'épuration ; la politique étrangère ; les droits, les devoirs et le rôle d'une nouvelle presse ; la politique coloniale, et, en particulier, la nécessité de doter l'Algérie d'un nouveau statut -, Camus informe et réagit. On entend dans ces textes la voix passionnée d'un écrivain dans l'histoire, épris de justice, de liberté et de vérité ; mais aussi obstinément soucieux d'introduire la morale en politique et d'exiger le respect de la dignité humaine.