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La Barque
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Marginalia à 'La Naissance de la tragédie' de Friedrich Nietzsche
Rainer Maria Rilke
- La Barque
- 5 Novembre 2024
- 9782917504741
Inédit en français.
Suite, reprise ou pendant à "Notes sur la mélodie des choses" (1898), les "Marginalia à "La Naissance de la tragédie" de Friedrich Nietzsche", jusqu'alors inédits en franccais et retrouvés dans la succession de Lou Andreas-Salomé, datent de 1900. Ainsi, Rilke poursuit-il sa réflexion entamée deux ans auparavant, et en appelle à « l'homme intemporel », à l'écoute profonde de « l'ample mélodie de l'arrie're-fond » qui le conduit depuis les grecs jusqu'au matin du xxe sie'cle à une pensée sur l'art convoquant la peinture, plus encore fortement le théa^tre et la poésie, la sienne tout particulie'rement, ainsi que, bien entendu, la musique elle-me^me avec laquelle, on le sait, il entretint un rapport ambigu cependant qu'il y voyait « la premie're expression parfaite » de ce qu'il situe à l'origine : « le ressac de l'illimité. »
Les "Marginalia" sont aussi l'oeuvre critique d'une lecture essentielle du texte de Nietzsche duquel parfois il s'éloigne, confirmant son intére^t d'alors pour le philosophe tout en préférant compter sur ses seules ressources intérieures. -
Giuseppe Bonaviri est ne´ en 1924 a` Mineo (Sicile), point de de´part de toute son oeuvre et e´picentre de son imaginaire. Ce roman fabuleux, "La divine fore^t" (paru en 1969) n'y e´chappe pas, et «l'homme de Mineo», via la voix du narrateur, fait de´buter son histoire pleine d'aventures dans un monde alors naissant, « lorsqu'il n'y avait ni haut ni bas et que l'air ne s'e´tait pas encore se´pare´ de la surface des eaux ». Le narrateur, alors incomple`tement forme´, naissant lui-me^me, e´volue de transformation en transformation, amorce de vie cellulaire d'abord, puis plante, puis oiseau, plus pre´cise´ment rapace : c'est finalement en tant que vautour qu'il connai^tra le monde et aura acce`s a` lui. Le nom du narrateur de me^me e´volue, comme sous l'influence du temps, selon qui l'appelle. Ainsi, alors «tombe´ dans un nouvel aspect», il est pour Grumina, sa premie`re compagne («Nous sommes deux enfin.») Fermenzio; puis se retrouvant plante de bourrache, il devient Senapo... ce, jusqu'a` porter le nom d'Apomeo avec celle qui sera sa future compagne, Toina. Laquelle, sous l'emprise d'une indicible me´lancolie, finit par disparai^tre. Le vautour, accompagne´ de Michele le vieil hibou et de Cratete le merle, rejoints un temps par Pirrone et Fliunte chacun dauphin, part alors a` sa recherche. En vain... Revenu dans la valle´e de Fiumecaldo, nai^t, autour du vieux Michele notamment, ce qui prend tournure d'une e´cole phi- losophique que co^toient nombre d'oiseaux et autres animaux jusqu'a` ce que, a` la mort du vieux Michele, « l'e´cole du caroubier » ne s'arre^te et que le vautour narrateur, conduit vers la cruaute´, ne soit pris de folie meurtrie`re... Sur sa route, il croise des hommes et a` leur suite de´couvre des incendies, « car la grossie`re ignorance des hommes e´tait en train de corrompre l'aspect du monde ». C'est alors que, sorti de sa de´mence, il de´cide de repartir a` la recherche de Toina qu'il ne parvient pas a` oublier, accompagne´ cette fois du pivert Panezio, du rouge-gorge Apollodoro, et du grand-duc Antistene, pour un long voyage vers la lune, plus haut, toujours plus haut...
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« Si vous me permettez cette comparaison un peu hasardeuse, je dirai que les livres, c'est la partition, et la conversation - le chant. » Andreï Efimytch Raguine à Mikhaïl Averianytch Sombre et lucide, cette prose parue en 1892, marquée par le retour cette même année de Tchékhov à la médecine, se passe principalement dans un hôpital délabré et crasseux, dans une petite ville paumée. Dans cet hôpital un pavillon, et dans ce pavillon une salle, la dénommée Salle n°6, réservée aux fous, soient-ils inoffensifs, que le rustre gardien des lieux, Nikita, n'hésite pas à rouer de coups. Peu présent quant à lui, ayant perdu le goût des consultations auxquelles il ne croit plus, le docteur Andreï Efimytch Raguine vit dans son petit confort, ses réflexions et ses livres, sirotant là sa bière, là sa vodka. Mais il souffre terriblement de solitude et c'est un interlocuteur digne de ce nom qu'il lui faudrait trouver. Quelqu'un avec qui il pourrait parler et qu'il prendrait plaisir à écouter. Ce sera finalement Ivan Dmitritch Gromov, l'un des cinq fous de la salle n°6, un homme âgé de trente-trois ans, « noble de naissance, ancien huissier et secrétaire de collège », souffrant de manie de persécution. Avec lui, la conversation touche à des sujets que le docteur ne pensait jamais pouvoir aborder : la souffrance, l'indifférence, la philosophie stoïcienne... Le livre atteint son sommet dans leur échange, au plus près dans sa partition de son coeur. Du narrateur, s'exprimant à la première personne du singulier lorsqu'il touche à la personne de Gromov (« J'aime son visage large aux pommettes saillantes... »), se rapproche ainsi l'auteur lui-même, mais aussi surtout, dans la narration, Raguine de Gromov, son double en miroir inversé, qu'il va rejoindre... O. G.
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Parmi ses derniers écrits, dans « Répéter les symptômes », Rosmarie Waldrop déplie les mots et le temps (le travail du temps) le long de onze parties introduites principalement chacune par un verbe annonciateur. La dernière partie, comme dans la vie, étant «?vieillir?». Keith Waldrop, son mari, là à côté, est présent dans ce livre... C'est aussi la mort et le corps vieillissant qui se rappellent à la pensée. Le sens des mots, leur origine comme leur devenir au sein d'une phrase au contact d'autres mots, est un prisme au travers duquel la vie diffuse sa lumière?; cependant que là, parmi les espaces blancs de la page, «?l'épaisseur de l'ombre?» (Faulkner), «?la masse nocturne qui entoure?» (R. Waldrop) se révèle en conscience?: il s'agit toujours de ne pas ignorer les mots, ni de se laisser par eux ignorer. Il y a beaucoup à recevoir de ce livre magnifique, magistralement composé.
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Salué dès sa parution en 1906 par un des plus grands critiques allemands de l'époque, Alfred Kerr, Les égarements [dans notre traduction] de l'élève Törless fut le seul succès littéraire de Musil de son vivant.
Ce roman philosophique, autrement qualifié de « roman d'apprentissage », débute avec l'entrée du jeune Törless dans une école privée huppée de la fin de la monarchie en Autriche-Hongrie. Jusqu'au moment où un événement majeur se produit au sein de l'école : un vol d'argent, soit un acte hors des normes d'une idéologie aristocratique régissant l'éducation de ces jeunes gens destinés aux plus hautes fonctions...
Ce qui intéresse Musil dans son livre, c'est la nature des troubles auxquels la sensibilité littéralement hors du commun de Törless est exposée. Opposition de ce fait mise à l'épreuve par une connivence de l'élève avec des congénères mus par une double ambition, politique pour l'un et philosophique orientaliste pour l'autre. Cette ambition a besoin d'une victime, laquelle sera précisément l'auteur du vol, Basini, qui, identifié comme tel, va faire l'objet de sévices sexuels. Törless ne s'identifiera quant à lui jamais ni à cette double ambition ni aux souffrances de la victime ; cependant ce que les tortionnaires sexuels ressentent en torturant et ce qu'éprouve la victime l'interrogent... -
Cette rare nouvelle de Bounine, quasiment introuvable, Les songes de Tchang, datée d'octobre 1916 fait suite à La Barque à Un monsieur de San Francisco (1915). « Chaque être est digne d'attention... », ce sera ici Tchang, vieil ivrogne chien somnolant, compagnon canin du capitaine qui lui sert sa vodka, avec lequel six années durant « il lia sa vie terrestre ». « Six années enfin, c'est beaucoup ou peu ? », c'est le temps de vieillir ensemble, sans plus voyager, sur terre et non plus sur mer, dans le plus grand dénuement, avant d'avoir à finir ses jours. Ce sera « désormais avec les yeux de la mémoire » que Tchang verra le capitaine, c'est que même, se retrouvant avec son nouveau maître, le peintre ami du capitaine installé dans « un galetas de plus, mais plus chaud, parfumé de l'odeur du cigare, couvert de beaux tapis, garni de vieux meubles, d'immenses tableaux et de précieux brocarts... », il ne l'aura pas quitté. Demain, quel demain ? En cette vie, dormir est un passe-temps. Autant se rendormir. Voici alors que le rêve de Tchang nous est conté, débutant sur le pont d'un bateau, « sur un large fleuve de Chine »...
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édition bilingue (français / chinois) Gu Cheng 1956-1993), formé à la poésie par son père en cachette, se déclare exclusivement poète à 19 ans, le 5 avril 1976, alors qu'il est lui-même victime de la répression sanglante des manifestations interdites contre le régime et le parti communiste chinois. À la détente du régime, Gu Cheng lit tout ce qu'il peut (littérature, philosophie, théologie, politique, cours d'électricité, de menuiserie, ouvrages chinois et traductions de toutes les langues possibles). On retrouve dans « Le Dossier Bulin » cette soif d'embrasser l'univers. Gu Cheng rapporta que les premiers poèmes de ce recueil, critique à peine voilée du régime et du parti (« Les araignées tiennent séance / c'est un bal périlleux, dans les airs / la musique n'est pas belle non plus »), ont été écrit par son double, son « daemon », Bulin, qu'il connaissait depuis l'enfance, mais qui prit possession de lui en juin 1981 pour écrire précisément ce texte. De fait, le style de ce recueil ne ressemble en rien à ce qu'il avait écrit jusqu'alors. Selon le poète, « Le Dossier Bulin » appartient du point de vue du style et du contenu au réalisme magique. Mais l'on songe aussi, par son extravagance à un Jarry et son monde pataphysique. Citation de Gu Cheng à propos de Bulin (mars 1983) : « Bulin est un personnage à la Sun Wukong, à la Don Quichotte, qui a provoqué une grande agitation dans mon esprit lorsque j'étais très petit. Il ne se conformait à aucune règle, faisait l'école buissonnière et je l'ai trouvé intéressant. Je pensais souvent à lui, avais rédigé et compilé son histoire, et ai même été jusqu'à l'écrire en chinois classique puis à y ajouter des illustrations. [...] Puis le temps passa jusqu'à un midi de juin 1981 où je me réveillai brusquement : dans mes rêves s'était produite une fission, Bulin était partout, et avec lui son monde extraordinaire. J'étais comme exalté, mes mains obéissaient totalement à l'inspiration, mon stylo courait sur le papier. C'était comme si je me consumais, comme si je renaissais, en un instant j'abandonnai le style lyrique sur lequel j'avais oeuvré laborieusement. J'écrivis d'un trait cinq des poèmes de Bulin, puis une dizaine d'autres plus tard, je réalisais une expérience qui renouvelait mon moi. »
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Pour la première fois en français, ici dans la traduction du polonais d'Isabelle Macor, il nous est donné de lire enfin l'oeuvre poétique de Zuzanna Ginczanka (1917-1944), reconnue par les plus grands de son temps (Gombrowicz, Tuwim, et bien d'autres) comme une poète au génie précoce.
Ce livre important en nombre de poèmes (110) se veut aussi un hommage à Zuzanna Ginczanka, et rend compte de l'évolution et de la diversité de son oeuvre, composée sur seulement dix années, tragiquement interrompue : elle meurt assassinée à l'âge de 27 ans en 1944 dans la banlieue de Cracovie après avoir été arrêtée par la gestapo une seconde fois.
Ainsi ce livre démarre-t-il avec son premier poème connu (« Banquet estival », écrit alors qu'elle était encore lycéenne en 1931) pour se poursuivre chronologiquement jusqu'à son dernier, « Non omnis moriar », où elle nommait expressément ces dénonciateurs à Lvov (actuellement Lviv, en Ukraine) où elle fut arrêtée une première fois, avant de l'être à nouveau à Cracovie et ne plus revenir.
Ce, en passant par une variété de poèmes relevant de la parabole, de la satire, de l'observation du monde et de la vie humaine saisie dans son regard..., selon un gai savoir grammatical où s'affirme librement sa féminité (fait remarquable), et où la nature abonde, cependant que, avec le pressentiment d'une catastrophe imminente, l'inquiétude s'installe. (Ainsi, dès 1934, un poème comme « Agonie » ne laisse aucun doute sur sa lucidité politique dans une Europe « secouée d'une toux / aux rythmes soldatesques ».) Les Centaures fut précisément le seul recueil de Zuzanna Ginczanka publié de son vivant, les autres poèmes étant quant à eux parus en revue ou dans la presse. Et elle n'aura eu guère le temps d'en composer un autre.
Ce livre en édition bilingue comprend également, pour une plus grande appréciation, des documents (photographies, reproductions de manuscrits, etc.), des notes, et (au moins) une postface de la traductrice.
Nous sommes plusieurs à vouloir que ressurgisse une telle voix des décombres de l'extermination. En Pologne, elle revit déjà plus particulièrement depuis 20 ans. Des ouvrages importants sur sa vie et son oeuvre y sont encore tout récemment parus. Et plus proche de nous, en France, un film documentaire lui a été consacré : Tout de moi ne disparaîtra pas (2022) de Joanna Grudzinska. -
Gu Cheng, contes illustrés de l'île aux eaux tumultueuses
Cheng Gu
- La Barque
- 13 Janvier 2023
- 9782917504635
Ce livre est le plus tardif de Gu Cheng, poète chinois des plus inventifs, extrêmes, surprenants et doués de la seconde moitié du xxe siècle. D'un genre difficile à définir, ce livre mêle la comptine, le conte philosophique taoïste, la gatha zen, le pamphlet et des dessins improvisés au stylo réalisés en 1990, le tout en un maelström poétique inédit en sa forme. Il est à noter que lorsqu'il était en proie à une forte émotion et à la colère, Gu Cheng n'écrivait pas mais se consacrait à d'autres arts, dont le dessin. Chaque vers, chaque texte est d'une concision extrême. Le rythme est celui, rapide, des textes anciens. Le ton en est enfantin, drôle, libre. Il s'agit d'amuser bien qu'ils témoignent des tragédies qui se jouent alors : son amour avec Xie Ye, la faim et la nourriture, la pauvreté, la lutte organique entre l'esprit et la matière...
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Avec cette prose, Ivan Bounine (1870-1953), écrivain (nouvelliste, romancier) et poète, déploie son art de la sensation, portant un regard précis et ample à la fois sur le monde qui l'entoure au travers d'une constellation de personnages de classes et de catégories sociales diverses, les uns servant les autres, chacun saisi dans une distance, et selon le degré de leur apparition, trouvant à s'incarner dans la magie de son écriture. Qu'il s'agisse du déclin d'un monde amené à disparaître, rappelé par le nom même du paquebot qui conduit le Monsieur de San Francisco accompagné de sa femme et de sa fille dans l'Ancien Monde depuis le Nouveau Monde, l'Atlantide, jusqu'à la ville de Babylone dont il est fait référence en exergue dans une citation extraite de « L'Apocalypse » (Chapitre 18), ou du déclin d'un homme que la mort soudaine emporte, tout ici est vacuité sans que toutefois la vie ne soit abandonnée à une noirceur par trop nihiliste. Ivan Bounine reçut en novembre 1933 le prix Nobel de littérature. C'était la première fois que ce prix était décerné à un écrivain russe. Il est mort en exil, alors en France, misérable, sans être rentré en Russie. Cette nouvelle datée d'octobre 1915, ici traduite par Christian Mouze, n'avait jamais été retraduite depuis 1934, date à laquelle elle paraissait sous la traduction de Maurice Parijanine pseudonyme de Maurice Donzel.
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Restitution «d'un univers englouti dans le silence », chacun de ces dialogues a donc eu lieu au musée du Louvre, « sur le même fond de signifiance ». Pour autant, il ne s'agit pas d'un livre d'entretiens stricto sensu, mais, rappelant le Dante de Mandelstam, d'une approche mêlant l'entretien lui-même à l'essai. Ainsi le témoignage côtoie-t-il l'interprétation ou le commentaire, comme le passé le présent... Façon pour l'auteur d'une monographie importante de Matisse, fruit d'un travail de longue durée, de poursuivre avec ce livre de dialogues son entretien intérieur, comme on le dirait d'une expérience intérieure, avec l'art.
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Conrad Aiken (1889-1973), avant tout poète, mais aussi romancier... nous livre ici l'une de ses nouvelles les plus bouleversantes.
Nous pénétrons dans un royaume de neige perçu et éprouvé par le jeune Paul Hasleman, âgé de 12 ans.
Peu à peu happé par la magie de son monde, Paul éprouve les plus grandes difficultés à répondre aux nécessités du quotidien, aux questions qu'on lui pose à la maison avec ses parents, à l'école avec la maîtresse d'école, puis avec le médecin contre le pouvoir duquel, surtout, il se voudrait ne pas faire figure « d'un cas ».
Paul cherche à préserver son secret (le secret de la neige), sans blesser, cependant qu'il lui devient aussi de plus en plus difficile de le taire. Dans ce texte inouï, où la folie côtoie le conte, rien n'est enfermé. Merveilleux.
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Ce quatrième ouvrage à La Barque d'Ossip Mandelstam traduit par Christian Mouze démontrera de lui-même l'amitié entre un auteur et son traducteur. Et c'est bien une chance pour le lecteur qui le découvrira puisque lui aussi se retrouvera en amitié avec le grand Mandelstam. Lui-même en amitié avec Dante. Le ton y est juste, rigoureux et audacieux tel Mandelstam lui-même.
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Ce livre en édition bilingue propose la première traduction en français des deux recueils complets, à partir de la langue d'origine (l'afrikaans), d'un auteur grandement célébré dans son pays, enseigné dans les classes, étudié à l'université, etc. Elle a déjà connu de nombreuses traductions, notamment en anglais, en allemand, en néerlandais, en zulu, en polonais, ou encore en turc et un film lui a été consacré en 2011, Black butterflies. Depuis 1965, le Ingrid Jonker Prize couronne chaque année le meilleur premier ouvrage de poésie sud-africaine en afrikaans ou en anglais.
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Cet ouvrage de Ryûichi Tamura (1923-1998), Le monde sans les mots, se composant des 4 premiers livres du grand poète japonais (de l'après-guerre à 1967), présente pour la première fois en France son travail. Cela sur une période suffisamment étendue (de 1956 à 1967) pour donner au lecteur francophone la possibilité de prendre la mesure de son importance, cela parmi les poètes les plus représentatifs de la seconde moitié du xxe siècle, suite à la publication à La Barque des poèmes d'Ayukawa Nobuo écrits durant la décennie 1945-1955.
Il donnera également l'opportunité d'approfondir les connaissances sur l'activité des poètes de l'école Arechi et de ce qu'ils appelèrent de manière idiomatique l'« expérience de la guerre » (sensô taiken) qui les porta à assumer après-guerre des positionnements éthiques.
La recherche d'un sens non dénaturé et d'une légitimité de la parole poétique est en effet le pivot de la poésie de Ryûichi Tamura. Chez lui le langage se trouve interrogé et conduit par une recherche du sens en deçà du sens (ce dernier imposé par l'idéologie, notamment de l'après-guerre).
Le poète s'est alors tourné vers le monde des créatures, de l'animalité, des végétaux et de la minéralité, pour tenter de rétablir une vision du monde qui ne soit pas déformée par l'arbitraire du langage. Dans l'histoire de la poésie contemporaine japonaise ce travail de mise en abîme du langage dans le texte poétique est sans précédent.
Pour Tamura, qui réalise ici un véritable tour de force en faisant vivre un « monde sans mots » en « utilisant les mots », la poésie n'était autre que « le produit du silence ».
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Premier livre & traduction française (trad. du yiddish) / édition bilingue Réunir deux recueils de poésie de Debora Vogel (1900-1942), ici dans la traduction de Batia Baum, constitue à double titre un événement éditorial majeur : de par l'importante place que Vogel occupe sur la scène de l'avant-garde tant polonaise qu'internationale des années 1930, et celle de la traductrice, Batia Baum, qui a consacré jusqu'à présent sa vie à la langue yiddish. En effet, c'est dans cette langue que D. Vogel, d'origine polonaise, prit la décision d'écrire sa poésie ; ce, en rupture avec son milieu et ses premières tentatives poétiques, alors en polonais et en allemand. Vogel fait ainsi ressurgir la question lancinante énoncée dans sa correspondance du début des années 1930 avec Bruno Schulz dont elle fut très proche : «Pour qui écrit-on en yiddish ?» Il s'agit ici d'une première parution intégrale en langue française d'une poétesse exceptionnelle encore inconnue, et à ce titre d'une découverte des plus surprenantes ne serait-ce que du point de vue de l'invention d'un style hors du commun naissant jusque de l'ennui, résolument adossé à l'art pictural (mais aussi à la musique), allant jusqu'à porter notre étonnement vers la poésie objectiviste. C'est au début des années 1930, soucieuse de donner corps à ses réflexions esthétiques et faisant le choix radical d'écrire en yiddish que Vogel publie ces deux livres de poésie : «Figures du jour», 1930, puis «Mannequins», 1934. Il faut noter que ces deux recueils sont intimement liés, que leur double parution en un volume est ainsi parfaitement justifiée, recoupant chacun des thèmes communs : thématiques quotidiennes, tableaux urbains mettant en avant tantôt des matières (le lait, la tôle...), le monde animal ou végétal, tantôt des éléments plus abstraits ou géométriques, ces images récurrentes soulignant à leur tour la monotonie et la langueur des paysages urbains... Aspirant à un nouveau style naissant de l'ennui, elle l'adosse résolument à l'art pictural, plus précisément au cubisme dont elle se réclame formellement, faisant siens les principes de «monotonie» et de «statisme», ainsi que la recherche de constantes et de figures géométriques schématiques comme base de l'ornementation. Toutefois, les liens avec la peinture ne doivent pas nous faire oublier la part faite à la musique : importance du rythme, techniques fondées sur l'usage de la répétition, l'énumération en boucle des mêmes éléments (choses, mots, situations), rappelant des aspects du sérialisme ou de la musique répétitive. Se défendant de se livrer là à des expérimentations artificielles, Vogel souligne la nécessité absolue («au prix d'épreuves à caractère vital») de cette poésie qu'elle qualifie de «poésie de la vie statique».
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Splendide livre de pensées - qui plus est unique recueil d'aphorismes de l'écrivain -, d'abord divulgué dans diverses revues en 1911 avant de ne paraître dans sa totalité pour la première fois en Italie seulement en 1981, Barques renversées de Federigo Tozzi est à compter, malgré sa singularité indéfectible, parmi les plus importants du genre (l'on songe à Nietzsche auquel Tozzi ne devait pas être étranger, à Pascal, et même, plus proche de nous, à Henri Michaux et son fameux Poteau d'angle).
Cet ouvrage échelonne, en trois parties, tour à tour considérations, voeux, adresses, et même chants, chaque fois introduits par un mot, moyen par lequel Tozzi, par l'écriture, parvient à décrire « un état spécial de notre âme », ce, jusqu'à une conclusion finale qui n'est pas fin en soi mais bien précisément retour au silence.
À ce jour toujours inédit en français, la parution de ce livre constitue alors un événement considérable. (O. G.)
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Haïkus for a season / per una stagione / pour une saison
Andrea Zanzotto
- La Barque
- 22 Octobre 2021
- 9782917504512
Tout d'abord, cette publication s'inscrit dans un esemble prévoyant la publication de quatre ouvrages du grand poète italien Andrea Zanzotto («Le Galaté au bois», «Haïku for a season / per una stagione/ pour une saison», deux courtes proses-essais, «Tentatives d'expérience poétique» & «Vers, dans le paysage [Corot]»). L'ensemble de ces quatre livres de nature variée pourra permettre au lectorat français d'en découvrir ou redécouvrir, et d'en apprécier les différentes facettes. Chacun d'eux est donné à lire par son historique traducteur, Philippe Di Meo, lequel, toujours dans le cadre de ce projet, signerait un cinquième livre, un essai sur l'oeuvre de Zanzotto cette fois, sous le titre provisoire «Du futur antérieur à la généalogie».
Ce projet s'inscrit en rapport à l'événement qui aura lieu en octobre 2021 où seront «célébrés» l'anniversaire de sa naissance (le 10 octobre 1921) et celui de sa mort (le 18 octobre 2011).
Les trois ouvrages à paraître en ce mois d'octobre 2021 seraient «Le Galaté au bois», «Haïku for a season / per una stagione/ Haïkus pour une saison» & «Vers, dans le paysage [Corot]».
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" Le Galaté au bois " (Il Galateo in bosco) Le titre, pour partie néologistique en français, emprunte au célèbre traité des règles de savoir-vivre de Monsignor Della casa, intitulé en italien Galateo, oppose culture (les règles sociales) et nature (bois touffu). Il s'agit du premier volet (1978) de la trilogie de la maturité du poète que le plus grand critique italien du siècle dernier, Gianfranco Contini a tenu à présenter. C'est aussi le seul recueil de cet ambitieux projet poétique à ne pas être aujourd'hui disponible en français. Les deux autres pans dudit triptyque, " Idiome " (1983) et " Phosphène "s (1986), sont tous deux présents en librairie. L'ouvrage prend pour thème un lieu défini, celui de la forêt du Montello situé au sud du bourg où le poète est né. Cette région s'avère particulièrement riche en sédiments historiques, échos, réseaux et figures. Là se dressent, par exemple, les ruines d'une grande abbaye où vécu Monsignor Della Casa, dans ces mêmes parages évolua la poétesse de la Renaissance Gaspara Stampa. Ce fut aussi un champ de bataille durant la première guerre mondiale et, de tout temps, un refuge pour les marginaux. Ces éléments, ici rapidement évoqués à titre indicatif, campent un sud et son histoire érodée reconduite à ses bribes surnageant dans l'histoire locale sous forme de fourmillantes historiettes, citations mémorables, épiphanies diverses. Cet enchevêtrement de temporalités dissemblables détermine un mélange stylistique familier aux lecteurs italiens : celui d'un plurilinguisme dont le Dante de la " Divine Comédie " est l'épigone. Autrement dit, la rencontre de styles diversifiés appartenant à des âges différents, tous dûment déhiérarchises dans une promiscuité généralisée mêlant mémoire littéraire, onomatopées, oralité : du sublime au trivial. Cet encyclopédisme langagier se révèle comme le juste rendu stylistique d'une histoire s'offrant tout à tour comme enfouissement et surrection, survivance et oubli, dont la faille périadriatique traversant de part en part la géographie concernée est aussi une métaphore seyante. Une syntaxe inattendue en résulte dans laquelle l'articulation est dévolue non au mot mais, le plus souvent, à des séquences verbales hétérogènes : accidenté, seul leurs heurts, chevauchements, juxtapositions, télescopages assoit le sens. L'histoire littéraire s'en trouve remaniée d'autant : paradoxalement, des styles distincts appartenant à des ères différentes finissent par y tenir un seul et même discours. Les styles mis en oeuvre sont ainsi arrachés à leur historicité pour vérifier la circulation du symbolique qu'ils viennent vérifier par-delà toute prétendue clôture : de langues en langages irréductibles. D'un italien d'une littérarité soutenue à un dialecte simplement parlé, par exemple. La critique italienne y a vu non seulement l'oeuvre maîtresse du poète de Vénétie mais également le chef-d'oeuvre le plus original de la poésie cisalpine du XXe siècle, qui en compte pourtant beaucoup d'autres. Au-delà, on peut tenir pareil recueil pour " généalogique " (dans une acception non nietzschéenne du terme) dans la mesure où prenant conscience du caractère suranné d'une tradition, l'européenne à travers l'italienne, ce recueil opère, idéalement et réellement, une synthèse de toutes les traditions précédentes, un peu comme Rabelais en son temps vis-à-vis de la tradition médiévale, et, cela, rien que pour donner un futur au genre poétique. Au reste, sa temporalité n'est-elle celle d'un futur antérieur (titre d'un célèbre poème de " Phosphènes " : " Futurs simples - ou antérieurs ") ? (Philippe Di Meo)
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On ose à peine présenter Tonino Guerra, poète, avant tout poète, dramaturge, artiste, et bien sûr scénariste de F. Fellini, de M. Antonioni, ainsi que de T. Angelopoulos, de De Sica, de De Santis, des frères Taviani, de F. Rosi, sans oublier d'A. Tarkoski qu'il accueillit en Italie et avec lequel il collabora à son film Nostalghia (1983)...
Paru en Italie en 1997, alors que Tonino Guerra était âgé de 77 ans, Il pleut sur le déluge se présente comme un Journal tenu à l'écart, en Émile-Romagne, durant les douze mois d'une année. Véritable calendrier de l'âme, ce livre paru en est écrit au fil des sensations cueillies au passage des saisons, empli d'épiphanies et de visions tissées dans les souvenirs. Çà et là, des poèmes en dialecte romagnol surgissent, concentrés d'impressions et d'échos d'une vie paysanne.
On trouvera en ces pages des portraits d'artistes russes et italiens dessinés avec une grande humanité, des excursions dans de petits villages romagnols... un voyage intérieur merveilleux et touchant, sans réelle frontière entre passé et présent, rêve et réalité.
Roberto Roversi, poète et critique italien, le qualifie à juste titre de livre de méditations et de chant. «Il appartient à ce genre de livre auxquels - après les avoir lus - on doit dire merci.» Précisons que ce livre comporte des dessins de l'auteur.
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Ce livre en tête-bêche réunit deux pièces de Tarjei Vesaas : Ultimatum & Pluie dans les cheveux.
Le théâtre de Tarjei Vesaas est demeuré jusqu'à ce jour inconnu en France et reste peu connu dans le pays d'origine de son auteur, la Norvège. Pourtant Tarjei Vesaas était attaché à cette forme où le dialogue soutient seul ou presque l'édifice de la narration.
Ultimatum, ici dans sa version de 1963, fut d'abord écrite en 1932, alors que Tarjei Vesaas se trouvait à Strasbourg. Il s'agit d'une pièce éminemment politique (lucide, Vesaas savait ce qui alors naissait en Allemagne) où de jeunes gens sont suspendus à l'ultimatum d'une déclaration de guerre. Cette pièce de Tarjei Vesaas est inédite en français, ainsi que dans cette seconde version en Norvège.
Il en de même de Pluie dans les cheveux, quant à elle de 1958, l'une et l'autre pièces paraissant donc pour la toute première fois (une première mondiale pourrait-on dire). Pluie dans les cheveux raconte la naissance de l'amour et du désir chez de jeunes adolescents. Ces deux pièces s'opposent par leur thème, Ultimatum s'imposant comme le coup d'arrêt porté à l'amour naissant de Pluie dans les cheveux (Ce basculement, ce renversement dans le cours de l'histoire, justifie le tête-bêche du livre.) Oeuvre traduite du nynorsk (néo-norvégien) par Marina Heide, Guri Vesaas et Olivier Gallon.
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Après « Neige silencieuse, neige secrète » (1933) parue en mai 2014, La Barque publie avec ce livre deux proses de Conrad Aiken (1889-1973). L'une de 1925, dans la lignée de « Neige silencieuse, neige secrète » : « Étrange Clair de lune » ; l'autre de 1927 : « État d'esprit », quelque peu différente et où en quelques pages l'auteur américain nous subjugue par son art du mine de rien. Deux joyaux, d'une grande délicatesse et intelligence.
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Parmi une quinzaine de titres parus, ce quatrième livre de Jacques Sicard (né en 1949) à La Barque est un livre de souvenirs et de cinéma, tout à la fois Journal composé, écrits convoquant la Vieille Charité à Marseille et la salle de cinéma que ce lieu abrita ; des écrivains, des poètes, des musiciens, le peintre Paul Cézanne et le cinéaste portugais João César Monteiro auquel le titre de cet ouvrage rend hommage et fait référence à son film précisément intitulé "Souvenirs de la maison jaune". Textes de pensées à l'exigence poétique et politique. *** Livre d'envergure, de passages dans les conduits de ses CLXIX (169) séquences, De la maison jaune, oscille entre Journal & Mémoires, texte réflexif & poésie. S'y égrènent aussi bien des souvenirs - d'un lieu chargé d'histoire (édifié au xviie siècle, on décida, à la suite de l'édit royal sur « l'enfermement des pauvres et des mendiants », d'y enfermer les pauvres natifs de la ville), soit la Vieille Charité sise au coeur du quartier du Panier à Marseille qui hébergea une salle de cinéma que l'auteur a fréquentée, au nom évocateur, Le Miroir ; de ce lieu donc et des films qu'il y a vus, à commencer par "Souvenirs de la maison jaune" de João César Monteiro, où il va sans dire s'origine le titre de ce livre... -, que des pensées (tour à tour poétiques,vpolitiques, esthétiques...), non sans cette «affection sérieuse », « épreuve du temps sur le désir » qu'est la mélancolie. Pensées qui par jeu, du fait même de se le raconter, sont parfoisvattribuées à d'autres : Monteiro tout particulièrement à qui l'auteur prête celles qu'il s'imagine avoir été les siennes, ou encore de Paul Cézanne, dont, au passage de certaines oeuvres dont il rend compte, il imagine ce que lui-même aurait pu en dire. Ainsi de solitaire Jacques Sicard s'entoure de voix, fantômes en son esprit - « fantôme » à un moment, au passage d'un passage, défini comme « un être qui surgit jusqu'à se rendre palpable : par les ailes tactiles des oiseaux, par la brume qui descend des montagnes, par le changement de régime du sang. »
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Le principe de ce livre est simple, mais exigent : pour se faire Jacques Sicard est parti de vingt-cinq photographies de Chris Marker, parmi un nombre considérable retenues (800, en tout, nous est-il précisé, prises dans vingt-six pays entre 1955 et 1965) extraites de son film Si j'avais quatre dromadaires (dont on sait que le titre a été repris d'un vers d'Apollinaire). De ce face à face, en regard de chacune, il a composé autant de « notes émodescriptives », ainsi justement définies puisque guidées par des ensembles d'effets non prémédités, eux-mêmes retenus dans le cadre de chacune de ces proses, par endroit d'une liberté toute anarchique, politiquement dit, si justement de paire avec une mélancolie sans regrets.
Ces notes, que précède une introduction et que prolonge un prologue, font figure elles-mêmes de photographies d'où parties, elles s'éloignent, autrement dit auxquelles elles renvoient tout en se donnant à lire indépendemment.