« Un serin vole du miroir, et se perche sur son épaule. "Un nouvel ami", dit-elle, et elle l'attira sur sa main. "Il est destiné à mes petits. Il est si joli ! regardez-le. Quand je lui donne du pain, il bat des ailes, et becquete si gentiment ! Il me baise aussi : voyez." Lorsqu'elle présenta sa bouche au petit animal, il becqueta dans ses douces lèvres... "Il faut aussi qu'il vous baise", dit-elle, et elle me tendit l'oiseau. Son petit bec passa des lèvres de Charlotte aux miennes, et ses picotements furent comme un souffle précurseur, un avant-goût de jouissance amoureuse... "Il mange aussi dans ma bouche", dit-elle. Je détournai le visage. »
Le Voyage en Italie de Goethe est important à plus d'un titre. On peut légitimement considérer qu'il a marqué une rupture dans sa vie. En prenant la route du Sud en 1786, Goethe a voulu échapper à un univers qu'il sentait trop pesant : « Je me suis enfui de Carlsbad à trois heures du matin : autrement on ne m'aurait pas laissé partir. » Il se dérobe incognito, à la hâte, affronte les périls et se métamorphose en Wanderer : le voyageur, le vagabond, l'errant.
Commence alors son odyssée, qui durera jusqu'en 1788 et qu'il retrace dans ce récit où se mêlent l'art et la vie. Goethe traverse Vérone, Vicence, Venise, Padoue, Ferrare, Bologne, Florence, Pérouse, Rome, Naples, Palerme. Il admire l'art classique, contemple les paysages, se lie avec la population : son expérience est intense.
Ce Voyage en Italie, publié seulement en 1816 pour la première fois, depuis longtemps indisponible en France, compte parmi les plus célèbres relations de voyage allemandes et s'inscrit dans le projet autobiographique de l'auteur de Faust. La traduction de Jacques Porchat a été révisée et complétée par Jean Lacoste qui signe également une remarquable préface où est exposé l'art du voyage chez Goethe, pour qui le déplacement ne saurait aller sans une renaissance et la redécouverte de soi.